Dans un coin oublié du Pakistan, la Chine se bâtit un port d'ambition mondiale

Gwadar, modeste port de pêche au sud du Pakistan, veut croire à son étoile. Pauvre et excentré, il a été choisi comme clé de voûte de l'ambitieux projet de développement que nourrit la Chine pour son instable voisin occidental. Situé sur une péninsule aride en queue de baleine sur la mer d'Arabie, Gwadar ("porte du vent" en langue baloutche) doit son élection à son emplacement stratégique, susceptible de lui valoir à long terme une place de choix dans le commerce mondial.
La ville doit devenir la tête de pont du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un projet multiforme de 54 milliards de dollars lancé en 2013 visant à relier l'Ouest de la Chine à l'océan Indien via le Pakistan. Le CPEC lui-même est un axe de la vaste initiative chinoise "One Belt One Road", visant au développement d'une ceinture terrestre et d'une route maritime, impliquant quelque 65 pays.
Pour ce qui est du Pakistan, le défi apparaît gigantesque dans un pays aux institutions fragiles, où sévissent des kyrielles de groupes violents d'inspiration djihadiste ou séparatiste, et où la corruption est endémique. "Ce port va aider le Pakistan à nouer des liens avec les pays voisins. La nation tout entière tirera profit de Gwadar", espère le président du projet, Dostain Khan Jamaldini. Mais ses premiers bénéficiaires seront "les gens de Gwadar et de l'Ouest du Pakistan", dit-il.
Le sujet des retombées économiques est ultrasensible dans la province du Baloutchistan, la plus pauvre et l'une des plus violentes du pays. Sa population se sent méprisée par Islamabad et spoliée de ses hydrocarbures et minéraux. Des insurgés séparatistes ont plusieurs fois attaqué les travaux du CPEC ou des ouvriers chinois.

"Le premier port en eaux profondes du pays"

Le projet, conçu à l'horizon 2055, prévoit de construire le premier port en eaux profondes du pays, une zone franche pour l'industrie et 50 km de quais. Le tout près du stratégique détroit d'Ormuz. Bien qu'il repose sur la généreuse Chine, il est ouvert à d'autres investisseurs. "Le port de Gwadar n'est pas chinois : notre partenaire principal est chinois et nous apprécions leur audace. Ils sont venus à Gwadar quand personne n'acceptait" de le faire, souligne Dostain Khan Jamaldini. La Chine a depuis des années l’œil sur Gwadar. Elle a financé une grande partie du port initial et repris le contrat, un temps détenu par un groupe singapourien, en 2013.
Le CPEC est loin de faire l'unanimité dans la région. L'Inde ne fait pas mystère de ses réticences, lui reprochant notamment de traverser le Cachemire, pomme de discorde entre les deux pays. Le chef du Pentagone, Jim Mattis, a récemment repris cet argument, critiquant son tracé via un "territoire disputé". Une attaque perçue au Pakistan comme une tentative de "contenir la Chine" et favoriser l'Inde.
Au-delà de la diplomatie, la sécurité reste une question-clé à Gwadar, admet le brigadier Kamal Azfar, qui y dirige la Brigade 440, créée pour protéger le CPEC. Des forces hostiles veulent "saborder ou stopper le CPEC", affirme-t-il en allusion au rival indien, accusé de mener des opérations de déstabilisation en sous-main pour priver le Pakistan de cet "énorme potentiel".
Gwadar manque par ailleurs cruellement d'eau et d'électricité et l'étroite péninsule n'est pas à l'abri des risques de spéculation immobilière, reconnaît Sajjad Baloch, directeur de la Gwadar Development Authority. Et malgré les promesses de prospérité, la main-d’œuvre qualifiée manque, constate le Dr Mohamed Siddique, chef d'un hôpital local ultra moderne mais partiellement inutilisé pour cause de "pénurie de spécialistes".
À Gwadar même, l'activité économique liée au CPEC apparaît encore limitée. Un navire solitaire est amarré dans le port et il n'en accoste en moyenne que trois ou quatre par mois, selon les autorités portuaires. La voie express qui dessert le site est inachevée.
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Environ 300 Chinois chargés de différents projets vivent à "Chinatown", des préfabriqués disposés en rectangle sur le port. Ils n'en sortent qu'escortés par la Brigade 440. La ville et ses 100.000 habitants vivaient jusqu'ici essentiellement de la pêche et de la construction artisanale de barques. Jusqu'à 50.000 personnes pourraient être relogées "graduellement" pour laisser la place au port, indique Sajjad Baloch, selon qui la décision "n'a pas été prise". Le port de pêche serait lui aussi transféré.
Un plan d'études de 2004, en cours de réexamen, prévoit une population plus que décuplée en 2050, à 1,7 million d'habitants, dit-il. Les emplois iront en priorité aux locaux, "puis aux Baloutches, puis aux gens du reste du Pakistan", affirme-t-il.
Mais pour l'heure, peu de Gwadaris ont été embauchés sur le port, indiquent des ouvriers assemblant des barques sur la plage. "Nous espérons nous y faire employer", avance l'un d'eux, Juneid, qui dit rêver d'une vie moins précaire pour ses enfants. "Il serait malheureux que les Baloutches ne bénéficient pas (du projet) car cela aggraverait un sentiment de privation qui remonte à des décennies", relève Abdullah Usman, travailleur social local.

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