Crise ukrainienne : un week-end de tensions avec des navires marchands pris pour cibles

Les échanges diplomatiques au sein du bloc occidental se sont intensifiés durant le week-end tandis que Vladimir Poutine a relevé le niveau d'alerte du dispositif russe de dissuasion nucléaire tout en s'engageant dans la tenue de pourparlers avec Kiev. Sur le terrain, plusieurs navires marchands ont fait l’objet d’attaques, dont deux interceptés par la marine russe. Kitack Lim, le secrétaire général de l'Organisation maritime internationale, et son homologue à l’ONU, António Guterres, ont appelé à la désescalade au nom de la protection des marins.

Isoler la Russie sur le plan économique et la déconnecter du système financier international. Les échanges diplomatiques – poursuivies de façon bilatérale et multilatérale entre partenaires de l’OTAN ou États-membres européens –, ont redoublé dans ce sens tout au long du week-end. Objectif : faire de la Russie un paria international.

Face au jusqu’au-boutisme du président russe Vladimir Poutine, que la deuxième salve de sanctions décidées par l’UE réunie en sommet dans la nuit du 24 au 25 février n’avait pas fait tousser*, les chancelleries européennes ont fait un grand pas ces dernières heures pour resserrer l’étau sur le maître du Kremlin, en restreignant de façon ciblée les virements internationaux via le système interbancaire Swift, utilisé par 300 banques et institutions russes. Ce qui aura pour effet de bloquer ses exportations et importations et notamment les transactions pour acheter du gaz et du pétrole, a annoncé la commission européenne. Une exclusion financière décidée en concertation avec le président américain Biden, les premiers ministres canadien Trudeau et britannique Johnson, pour lui donner les contours d’une réponse internationale unilatérale.  

Les États membres de l’UE étaient jusqu’à présent réticents à actionner cette sanction à double tranchant pour les pays très dépendants du gaz pour leur approvisionnement, comme l'Allemagne et l'Italie, dans un contexte de prix élevés de l'énergie. 

Escalade des annonces en fin de week-end

Les annonces et...menaces se sont emballées en fin de week-end – fermeture de l’espace aérien décidée par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Canada, livraison d’armes en Ukraine par l’Union européenne… –, alors que le président russe a annoncé avoir mis en alerte la force nucléaire tout en prévoyant de rencontrer son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à la frontière biélorusse. 

Les États-Unis ont réclamé pour leur part une nouvelle réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, dont l’Assemblée générale se réunira le lundi 28 février « en session extraordinaire d’urgence », pour que ses 193 membres se positionnent sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La résolution a été adoptée par onze pays, la Russie a voté contre, les Émirats arabes unis, la Chine et l’Inde se sont abstenus.

 Le transport maritime dans l'attente des sanctions

116 navires dans l'entrée sud du détroit de Kerch

Sur les zones du conflit, où la Russie a déployé 46 bâtiments militaires dans les mers Noire et d'Azov et 17 en Méditerranée, dont des croiseurs lance-missiles selon Yevgen Lisuchenko, le représentant permanent adjoint de l'Ukraine auprès de l’OMI, les attaques contre des navires marchands se sont multipliées durant tout le week-end. Elles ont notamment visé des propriétés russes et ukrainiennes. Peut-être les seules qui fréquentent encore ces mers.

Au 24 février, selon les données du Lloyd's List, 116 navires faisaient la queue dans l'entrée sud du détroit de Kerch et 45 dans l'entrée nord du détroit, principalement sous pavillon russe. 

Les armateurs occidentaux ont pris leurs dispositions pour déserter les zones de navigation ukrainiennes – au demeurant restreintes avec le blocus de la mer d'Azov et la fermeture deses ports –, où ils font courir des risques élevés à leurs équipages et à leurs actifs. D’autant que les eaux ukrainiennes et russes de la mer Noire et de la mer d'Azov ont été ajoutées à la liste des zones à haut risques par le Joint War Committee (JWC), le conseil des risques de guerre du secteur de l'assurance.  

« Je suis gravement préoccupé par les répercussions de l'action militaire en Ukraine sur le transport maritime mondial, la logistique et les chaînes d'approvisionnement (…). Le transport maritime, et en particulier les marins, ne peuvent pas être des victimes collatérales dans une crise politique et militaire plus large. Ils doivent être en sécurité », a réagi Kitack Lim, le secrétaire général de l'Organisation maritime internationale (OMI), rejoignant António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, dans son appel à la cessation immédiate des hostilités alors que des navires étaient pris pour cibles. 

Quels risques pour les navires transitant dans les eaux ukrainiennes et russes ?

Des attaques en séries

Depuis vendredi, le vraquier turc Yasa Jupiter battant pavillon des Îles Marshall, le souteur Millennial Spirit (appartenant à Enertrans) sous pavillon moldave et le vraquier Namura Queen, enregistré sous le drapeau panaméen, ont été pris entre deux feux. 

Selon le département des affaires maritimes de la Turquie, le Yasa Jupiter aurait été touché par un missile alors qu'il naviguait en mer Noire, à environ 110 km des côtes d'Odessa « Il n’y a pas eu de pertes de vies et le navire est en sécurité », a indiqué la Direction générale turque des Affaires maritimes sur les réseaux sociaux. Selon le système de suivi du navire, le vraquier de 61 000 tpl avait quitté le port de Dneprobugsky en Ukraine et avait pour destination Novorossiisk en Russie. D’après ses dernières positions, il se trouvait au port de Yalova en Turquie. 

Le Millennial Spirit se trouverait toujours en mer noire. Il regagnait le port ukrainien de Pivdennyi et était au large de Youjne, port satellite d’Odessa, lorsqu'il a été touché par un missile. Dans la même zone, le Namura Queen de 85 000 tpl, parti de Sardaigne le 15 février, a été frappé le 25 février et les positions du navire l’indiquent toujours dans la proximité du port céréalier. 

Les ports ukrainiens entravés par des exercices navals russes

Pris en otages par des navires russes ?

Le journaliste maritime russe Voytenko Mikhail, à l’initiative du site d’informations maritimebulletin.net, a évoqué l’interception, le 26 février, par la marine russe, des vraquiers battant pavillon ukrainien Afina, exploité par Tranship, et Princess Nicole (sans propriétaire connu dans la base Equasis). Partis du terminal céréalier de Mykolayiv, ils faisaient route vers Constanta en Roumanie. « Les navires ont reçu l'ordre de s'arrêter à des fins de contrôle, puis ils ont été escortés vers les eaux de Crimée », indique le journaliste.  

Les dernières données AIS activées du vraquier Afina, qui datent du dimanche 27 février à 10 H19, l’indiquent à l’ouest de Sébastopol, principale base navale russe en mer Noire. Depuis le système est désactivé. Tout comme le Princess Nicole, localisé au même endroit.  

La marine russe aurait également arraisonné le remorqueur ukrainien SAR au large de l’île Zmeiniy le 26 février, dont la communication a été perdue. La position et le statut du navire, ainsi que le sort de l'équipage, sont actuellement inconnus. 

Désinformation ?

Ces événements font suite à deux précédentes attaques, signalées par le Service fédéral de sécurité russe, dont l’authenticité n’est toutefois pas avérée, selon lesquelles deux de ses navires marchands avaient été touchés par un missile de l'armée ukrainienne, engendrant un incendie et blessant un membre d’équipage. Il s’agit du pétrolier SGC Flot et du general cargo Seraphim Sarovskiy. Pour étayer leurs affirmations, les autorités russes ont publié une vidéo montrant des dégâts sur le pont arrière du navire.  

En France, le roulier Baltic Leader, qui transportait des véhicules à destination de Saint-Pétersbourg, a été arraisonné par la police maritime à Boulogne-sur-Mer dans la nuit de vendredi à samedi, parce qu’il appartiendrait à un homme d'affaires russe qui, par ses liens avec le gouvernement russe, figure sur la liste des personnes sanctionnées par Bruxelles. Selon la base Equasis, il appartenait à la société Navigarden jusqu’en juin 2021, date à laquelle il est passé sous le contrôle de Transmorflot. Selon le système de suivi du navire, le roulier était à Malte le 7 février, est arrivé au Havre le 16 février, a fait escale au terminal Radicatel de Rouen et selon son ETA, était attendu à Saint-Pétersbourg le 3 mars. 

Crise ukrainienne : éviter un « choc d’approvisionnement » en gaz et en pétrole

Inflation des taux de fret 

Ces derniers jours, du pétrole au gaz naturel, du blé à l'orge, les prix des produits de base dans le monde entier ont atteint des sommets historiques face à la crainte d'une éventuelle interruption des approvisionnements de la Russie, qui fournit plus de 12 % du pétrole mondial et 16 % du gaz naturel.  

Les taux de fret des navires-citernes se sont affolés. Les tarifs d’affrètement des aframax et suezmax, exploités sur la route Mer Noire-Méditerranée, ont plus que quadruplé la semaine dernière, poussant les revenus à près de 170 000 $ par jour. Les taux de fret spot moyens des aframax sont passés en quelques jours de 11 000 à plus de 68 000 $/j, tandis que les suezmax ont bondi de 4 000 à plus de 41 000 $/j, selon Clarksons. 

Céréales : la stratégie d'exportations de l'Ukraine compromise par la Russie

BP se désengage

Avant même l’annonce des sanctions, les analystes semblaient persuadés que peu de négociants, exportateurs, importateurs, transporteurs ou assureurs, seraient prêts à prendre le risque de traiter avec la Russie, craignant une attaque physique, des problèmes de paiement en raison des sanctions financières, une non-livraison voire des réactions négatives de la part de la société civile et des investisseurs pour avoir maintenu leurs affaires avec un pays considéré au niveau international comme poursuivant une guerre illégitime. 

Le groupe pétrolier BP vient d’annoncer son intention de céder sa participation de 19,75 % dans le capital du deuxième producteur russe de pétrole Rosneft et cesser ses opérations dans le pays. Le directeur général de BP, Bernard Looney, a également démissionné du siège qu’il détient au sein du conseil d’administration de l’entreprise détenue par l'État russe « avec effet immédiat ». Le retrait de la compagnie pétrolière britannique aura un effet comptable immédiat sur ses prochains résultats trimestriels, en amputant de 2 Md$ son bénéfice d'exploitation. 

Adeline Descamps

* restriction de l’accès de la Russie aux marchés de capitaux européens et aux composants électroniques et de logiciels, interdiction de lui exporter des avions, pièces et équipements de l'industrie aéronautique et spatiale, technologies de raffinage pour l'industrie pétrolière…, et pour les banques européennes de financer des entreprises étatiques russes. 

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