En fusionnant, Euronav et Frontline créent un titan dans le transport de pétrole

Deux des plus grandes sociétés de transport maritime de brut, la norvégienne Frontline et la belge Euronav, annoncent une fusion à grande échelle. Une suite logique après la prise de participation de l’homme d’affaires John Fredriksen, actionnaire principal de Frontline, dans le capital d’Euronav. L’ensemble consolide une flotte de 146 navires. Dans un marché complètement déprimé avec des opérateurs en hémorragie de liquidités. 

Deux des plus grands armateurs de pétroliers au monde, Frontline, basé à Oslo, et Euronav, dont le siège est à Anvers, fusionnent dans le cadre d’une opération à très grande échelle dans un environnement hautement concurrentiel et un marché très déprimé.

John Fredriksen termine le 6 avril la phrase restée en points de suspension lorsqu’il avait acquis en octobre dernier 9,8 % du capital d’Euronav via le véhicule financier qui administre les participations pour le compte du magnat. Par cette transaction, John Fredriksen était devenu le deuxième plus grand actionnaire de l’armateur belge, coté sur le marché Euronext de Bruxelles (72,2 %), derrière Euronav (8,3 %) et la famille Saverys (dont la participation était alors sous les 5 %, mais que depuis, elle a porté à plus de 13 %, cf. plus bas). En 2004, Euronav avait été séparée de CMB et cotée indépendamment à la bourse Euronext de Bruxelles.

La montée au capital de l’homme d’affaires à la double nationalité norvégienne et chypriote dans le capital de l’armateur belge alors qu’il détenait déjà 40 % de Frontline laissait présager une possible consolidation entre les deux sociétés au demeurant très concurrentes sur le segment des VLCC.

Une flotte de 147 navires 

Si l’opération passe le cap des étapes réglementaires, de la validation des parties prenantes et de consultations des personnels (horizon non défini), la fusion entre les deux acteurs donnera naissance à un titan sur le marché des pétroliers en termes de capacités, avec une flotte totale de 69 très gros transporteurs de brut (VLCC, capacité de 2 millions de barils, de 200 000 à 349 999 tpl), 57 suezmax (1 million de barils, 120 000 à 199 999 tpl) et 20 LR2/aframax (75 000 à 119 999 tpl, produits raffinés). Soit un total de 146 navires-citernes pour une flotte mondiale qui en compterait un peu plus de 2 500. Au regard de leurs poids dans les VLCC et suezmax, les plus grands navires de transport de brut, les deux opérateurs pourraient ainsi contrôler 10 % du marché mondial sur ces deux segments.

Les deux sociétés, cotées en bourse, représentent ensemble une capitalisation boursière de plus de 4,2 Md$ sur la base de leur valeur de marché au 6 avril 2022 (dans un secteur où la plupart sont inférieures à 1 Md$). Sur le plan capitalistique, l’opération, « approuvée par les membres du conseil d'administration de Frontline et par le conseil de surveillance d'Euronav », consiste en un échange d’actions de sorte que les actionnaires d'Euronav et de Frontline détiendront respectivement 59 et 41 % de l’ensemble consolidé. Euronav sera donc l’actionnaire majoritaire.

La marque Frontline est préservée dans la fusion. Elle servira de prête nom à la société tandis que Hugo De Stoop, actuel directeur général d’Euronav, en sera le patron. Le conseil d'administration devrait être composé de sept membres, dont trois personnalités du conseil de surveillance d'Euronav, deux nommés par Hemen Holding, principal actionnaire de Frontline, et deux nouveaux administrateurs indépendants supplémentaires. L’ensemble continuera à opérer depuis la Belgique, la Norvège, le Royaume-Uni, Singapour, la Grèce et les États-Unis.

Épilogue logique

La fusion est la suite logique d’une opération que le président du conseil d’administration d’Euronav, Carl E. Steen, et le PDG, Hugo de Stoop, avaient à plusieurs reprises rejetée quand ils étaient interrogés sur le sujet. Même barrage du côté de Lars Barstad, le directeur général de Frontline. Ou du moins pas sur les radars à court terme, faisait valoir le dirigeant, qui semblait toutefois considérer nécessaires les opérations de rapprochement chez « les petits acteurs » : « Beaucoup appellent à la consolidation des majors. Mais nous sommes déjà consolidés. Ce n'est pas nous qui posons un problème sur ce marché. Le véritable défi vient de tous ces petits opérateurs », avait déclaré à ce propos Lars Barstad.

Marché très difficile 

Depuis mi-2020, le marché de la cale citerne est en hémorragie de liquidités, après que les armateurs de tankers aient fait fortune au cours du premier semestre de 2020. Alors que les risques géopolitiques impliquant des producteurs de pétrole font traditionnellement grimper en flèche les tarifs des navires-citernes, les pétroliers peinent à atteindre le seuil de rentabilité. Et les taux ne décollent toujours pas, un mois après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Pour certains analystes, trois principales raisons peuvent l’expliquer : la capacité des navires « clairement excessive », étant donné les niveaux déprimés des taux au comptant, la période du printemps et les prix du pétrole « complètement paraboliques » dans un marché en surstock, et donc sans incitation économique à remplir les cuves pour l'été. 

La société new-yorkaise de conseil en pétroliers McQuillings Services prévoit que les revenus de 2022 pour la flotte de 860 VLCC s'élèveront à 11 000 $ par jour, mais uniquement pour les pétroliers les plus récents, les plus économiques et équipés de scrubbers. Les doyens devront carburer à quelque 2 500 $/j, soit bien moins que les coûts d'exploitation quotidiens de 9 800 $. Bien que les estimations des taux équivalents d'affrètement à temps dépassent les coûts d'exploitation, elles couvrent à peine les seuils de rentabilité.

Conjonction d’aléas 

À la problématique de l’offre confrontée aux nouvelles normes réglementaires de l’OMI vient se greffer une série d'aléas à savoir si les sanctions américaines iraniennes ou vénézuéliennes vont être levées ou si de nouveaux variants de Covid ne vont pas enrayer à nouveau la demande de pétrole convalescente. 

La guerre en Ukraine devrait réduire les exportations russes de brut et de produits pétroliers de 2,5 millions de barils par jour, soit environ 4 % des expéditions maritimes mondiales. Dans son rapport mensuel sur le pétrole publié en mars, l'AIE a prévenu que les perturbations à grande échelle de la production de pétrole russe portaient le risque d’un choc d'approvisionnement mondial.

Les sanctions contre la Russie accentuent les pressions sur les prix de l'énergie et recalibrent les flux commerciaux des produits énergétiques de base. Les États-Unis interdisent le pétrole et les produits pétroliers russes à partir d'avril. Le Royaume-Uni prévoit d'arrêter toutes les importations de pétrole et de gaz d'ici la fin de l'année et a interdit l'accès de ses ports aux navires liés à la Russie. Les 27 pays membres de l'Europe prévoient d'éliminer progressivement les deux tiers des importations de pétrole et de gaz russes d'ici à 2030.

Le BP Energy Outlook, un rapport annuel qui fait référence, prévoit que la demande de brut restera largement statique jusqu'en 2025, avant de décélèrer. Cela devrait se traduire par des exportations maritimes stables. Le segment ne pourra alors compter que sur la croissance des tonnes-milles pour soutenir la demande de tankers.

Adeline Descamps

Que va faire la famille Saverys ?

La famille Saverys est encore présente dans le capital d’Euronav, qui lui a longtemps appartenu et qu’elle a contribué à créer il y a 27 ans, mais dont elle avait réduit sa participation sous les 5 % il y a deux ans. Après l’entrée au capital de John Fredriksen, elle avait renforcé sa présence si bien qu’elle détiendrait plus de 13 % aujourd’hui. Elle l’aurait fait en achetant des actions Euronav par l'intermédiaire de la société CMB (Compagnie maritime belge), contrôlée par la famille.
 

[Actualisation au 8 avril] CMB rejette la fusion

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