Jean-Emmanuel Sauvée, Armateurs de France : « La période que nous vivons est très incertaine »

Toute la profession avait rendez-vous le 30 novembre au Pavillon Cambon à Paris pour la grande soirée annuelle d'Armateurs de France. Un rendez-vous à quelques jours de l’entrée en vigueur de nouvelles normes réglementaires qui serrent la vis d’un cran sur la décarbonation qu’il va falloir « opérer à coûts raisonnables ».

Il y avait beaucoup de « savoir-communiquer » lors de la soirée annuelle des Armateurs de France qui a réuni 450 personnes au Pavillon Cambon le 30 novembre, un des trois lieux d’exception sis au cœur du triangle doré Opéra, Madeleine et Vendôme.   

Il y avait en effet matière à nourrir un discours de président. Quelques heures avant l'événement, l’organisation professionnelle avait apposé son paraphe sur un avenant aux côtés de celui des officiers des trois syndicats CFE-CGC Marine, CFDT et Fomm CGT, actant une revalorisation des minimas salariaux conventionnels de 10 % de leur branche alors que le dialogue social était grippé depuis dix ans. Dans la même journée, une rencontre avait été organisée par le secrétariat d'État à la Mer avec l’ensemble des compagnies opérant de part et d’autre du Channel afin d’aborder le délicat sujet de la concurrence qui ne s’exprime pas tout à fait avec foi et loi, soutiennent les exploitants français de ferries, à vif sur ce sujet.

Sièges réservés

Toute annonce faite à l’occasion de la soirée d’Armateurs de France a des chances de tomber dans le creux d’une oreille attentive. L’événement est toujours très couru par des ministres ou ex-ministres, fidèles à la cause du secteur (Dominique Bussereau, qui fut secrétaire d'État chargé des Transports et de la Mer, et l’ex-ministre de la Mer, Annick Girardin, ont été aperçus), par des parlementaires (au moins une quinzaine identifiée) et par les têtes de pont des services de l’État (Didier Lallemant, secrétaire général de la mer ; Éric Banel, directeur général des Affaires Maritimes, de la Pêche et de l’Aquaculture ; Guillaume Sellier, inspecteur général des Affaires maritimes, François-Xavier Rubin de Cervens, Bureau Enquêtes Accident en mer).

Certains sièges y sont réservés : Tanya Saadé (CMA CGM), Frédéric de Moncany de Saint-Aignan (Cluster maritime français), Patricia Ricard (Institut Paul Ricard). Avec cette année, en invités placés sous la lumière, Olivier Poivre d’Arvor et Vincent Campredon, président et directeur du Musée national de la Marine, qui se trouve dans la dernière ligne droite de sa grande transformation. Et évidemment tout ce que la France compte d’armateurs s’y dépêche : Louis Dreyfus Armateurs, CMA CGM, Boluda, Brittany Ferries, La Meridionale, DFDS, Corsica Ferries, Ponant, Socatra, Geogas, France LNG, Bourbon, Orange Marine, Les Abeilles, Marfret, V. Ship, Jifmar, Knutsen, Sogestran…
 

Jean-Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France 

Opérer à « coûts raisonnables » 

« Notre métier, vieux comme le commerce, qui remonte à la nuit des temps, n’a cessé de vivre avec son époque », a introduit Jean-Emmanuel Sauvée, le président d’AdF à quelques mois de la fin de la mandature de trois ans, dans un discours inspiré par l’Histoire, une valeur sure qui permet de dédramatiser le cap à passer.   

Alors que l’organisation créée par André Lebon (deux fois ministre de la troisième République) fêtera ses 120 ans d’existence le 13 janvier prochain, ses membres font face à un iceberg financier : la décarbonation du secteur maritime qu’il va falloir opérer à « coûts raisonnables » alors qu’une nouvelle flotte plus vertueuse nécessitera « une montagne d’investissements » d’autant que les futurs combustibles à souter n’existent pas et que leur disponibilité et leurs coûts questionnent.  

Période flottante 

La période est flottante. « Les nouvelles réglementations, IMO2023 et particulièrement l’ETS européen [marché carbone sur lequel eurodéputés et États membres de l’UE viennent de s’entendre, NDLR] vont incontestablement faire évoluer nos modèles économiques. En 2030 nous devons avoir drastiquement réduit notre empreinte carbone ».  

La compétition est âpre et pas toujours à armes égales. « Nous sommes contre le dumping qui peut prendre des formes diverses : sécuritaire, environnemental, fiscale et surtout sociale. Nous souhaitons des règles du jeu justes », fait valoir Jean-Emmanuel Sauvée, qui appuie sans réserve la démarche entreprise par le secrétariat d’État à la Mer sur le dumping pour que la Manche ne devienne pas un Far West.

Des arbitrages politiques favorables 

Le financement de la flotte est existentiel, aura-t-il aussi l’occasion de placer alors que les armateurs ont obtenu dernièrement le crédit-bail fiscal, qui facilite le financement de l’achat d’un navire, la garantie des projets stratégiques de la BPI lorsque les projets ont recours au pavillon français – la possibilité de combiner les deux –, et le suramortissement vert.

Le secteur a par ailleurs bénéficié d’efforts budgétaires et fiscaux, avec des mesures telles que la taxe au tonnage, l’exonération de charges patronales (le fameux net wage), accordée en 2021 et prolongée pour trois ans l’an dernier, ainsi que l’allégement des charges sociales au titre du régime de protection sociale des marins français (ENIM). Des outils opérationnels certes mais pas sanctuarisés, objecte le président d’AdF. Les demandes des armateurs français sur les financements alternatifs, « indispensables dans le cadre de la politique de souveraineté maritime, indispensable à l’économie nationale », n’ont en effet pas encore été entendues.

Horizon, France Mer 2030

Appelée pour remplacer au pied levé le secrétaire général chargé de la Mer Hervé Berville, dont la présence a été déprogrammée mais qui est finalement apparu, Agnès Firmin Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la Santé, ne manquera pas de rappeler à ce parterre d’armateurs, qui a la mémoire des actes mais pas des paroles, toute la sensibilité maritime dont ont fait preuve les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017… 

Les armateurs ont été entendus sur le dumping social en transmanche, rappelle-t-elle. Un dossier sur lequel Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, opère une redoutable vigie.

Hervé Berville a annoncé, lors des Assises de l’économie de la mer, la création d’une « task force de contrôle » qui intégrera des inspecteurs du travail et n’exclue pas une « loi de police » qui interdirait l’accès, au départ ou à l’arrivée d’un port français, à tous les navires qui pour des liaisons régulières, ne respecteraient pas des normes sociales élevées. Le ministre entend proposer un amendement, dans ce sens, au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2023).  

Elle mentionnera aussi la reprise du chantier de la flotte stratégique, ces navires assurant l’approvisionnement des produits dits essentiels en temps de crise, un sujet sur lequel le président de Louis Dreyfus Armateurs, Philippe Louis-Dreyfus, n’a jamais baissé la garde alors que cet engagement est inscrit dans le Code de la Défense de 2017 mais dont l’application paraît aussi marbrée. « Nous rappelons que c’est la flotte de commerce sous pavillon français, dans son ensemble, sans exception, qui est stratégique », rappellera au cours de la soirée Jean-Emmanuel Sauvée.

Assurant le service après-vente des Assisses de l’économie de la mer, Agnès Firmin Bodo reprendra à peu près toutes les mesures qui y avaient fait l’objet d’annonces : la transformation des lycées maritimes dans le cadre de la réforme à venir du lycée professionnel, la possibilité pour les BTS de devenir officiers, l’augmentation de la dotation de l’État (7,5 M€) de 3 M€ à l’ENSM, le recrutement de cinq enseignants supplémentaires à la rentrée prochaine. Le tout pour tendre vers l’objectif du doublement des effectifs d’ici 2027 dans une période de forte tension (les statistiques prévoient une pénurie de 35 000 marins dans les années à venir au niveau mondial).

Rendez-vous au CIMer du printemps 2023 

Elle a en outre fait la promotion de la démarche désignée sous l’appellation de France Mer 2030, qui doit déboucher, à l’issue d’une consultation, sur la définition d’une stratégie maritime à moyen terme de la France dont certaines lignes doivent être précisées lors du prochain Comité interministériel de la mer (CIMer) au printemps 2023. Avec pour horizon : un navire zéro émission. 

Pour rappel, à ce propos, l’État met sur la table 300 M€, espérant susciter un effet de levier du privé. CMA CGM y a déjà répondu en apportant 200 M€, prélevés sur son Fonds Énergies, doté de 1,5 Md€ sur cinq ans,  « Ces lignes de crédit privés seront gérées en complémentarité avec l’Institut de décarbonation », détaille Agnès Firmin Bodo.  

La transition écologique des ports devrait également faire l’objet d’annonces lors du prochain CIMer, notamment sur les verrous administratifs et réglementaires qui bloquent l’éolien en mer.   

 Adeline Descamps 

 

 

 

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