Pétrole, gaz, charbon : Où sont les navires ? Où vont les flux ?

Si tous les indicateurs tendent à confirmer un ralentissement de la croissance du commerce mondial, il pourrait y avoir des effets atténuants pour le transport maritime car le remodelage des flux en cours devrait favoriser les tonnes-milles. À quel type de navires et à quelle route maritime profite le grand chambardement provoqué par les sanctions envers la Russie ? Les mouvements de report sont déjà à l’œuvre avec, à la clé, une pression sur la disponibilité de certains navires.

Les difficultés de la chaîne d’approvisionnement qui semblent avoir signé pour un contrat à durée prolongée et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, partie pour s’enliser, ont pour effets immédiats de remodeler complètement les flux. Dans cette reconfiguration guidée par le contournement des sanctions internationales frappant les énergies de base jusqu’à présent fournis par le voisin russe (en partie par oléoducs), les distances s’allongent et le transport maritime pourrait y trouver quelques avantages. C’est ce que tend à montrer ING dans une analyse passant en revue le phénomène sous le prisme des tonnes-milles. « Dans l'ensemble, on s'attend à ce que les repositionnements de flux engendrent un déploiement supplémentaire de navires de l’ordre de 1 % à 1,5 en 2022, avec un impact plus important encore sur le charbon et les produits pétroliers », considèrent les économistes de la banque en ligne. 

Un marché en zigzag

Pour autant, la Russie n’a pas encore été complètement rayée de la carte mais l’autosanction est croissante. « Alors que le marché continue de zigzaguer à la recherche de clarté pour ce qui reste un avenir très flou, nous observons jusqu'à présent que les exportations de pétrole russe continuent de circuler largement », nuance S&P Global Commodity Insights, qui s'attend toutefois à une perte de près de 3 millions de barils par jour dans les exportations de brut et de produits pétroliers russes au cours des prochains mois notamment parce que les négociants boudent le pétrole et le gaz russes.

« Ils hésitent à conclure des accords en raison de leur formulation ambiguë et du malaise croissant que suscite l'approvisionnement en matières premières russes », poursuit la société d’analyse. Il y aurait selon ses calculs quelque 630 000 barils/jour chargés dont la destination est encore classée sous le statut « inconnu », ce qui ouvre le champ des possibles et des spéculations sur leur orientation finale.

Le charbon, le premier a été concerné par la reconfiguration 

Quoi qu’il en soit, pour le charbon, les produits pétroliers et le gaz naturel, le long courrier s’impose dans les opérations de grand remplacement. Le charbon, dont les importations européennes (87 Mt en 2021, avec le Royaume-Uni) sont alimentées à 46 % par le pays de Vladimir Poutine, seront interdites à partir d’août. Il est celui qui a priori devrait être le premier concerné par le changement des routes. Qu’il vienne des États-Unis, de l'Afrique du Sud ou de l'Australie, les trajets seront nettement plus longs que depuis la mer Baltique. « En plus de remplacer l'approvisionnement traditionnel en charbon russe, il y aura également des volumes supplémentaires en substitut au gaz russe, ce qui augmentera encore les volumes maritimes du charbon », assure ING.

Tonnes-milles en hausse de 3 à 4 % pour le pétrole

L’UE semble de plus en plus décidée à imposer un embargo (progressif) sur les importations du pétrole de l’Oural mais que la décision soit actée ou non, il y aura inévitablement des mouvements de report.

Les Vingt-Sept devraient ressortir de la crise avec la « gueule de bois » héritée de ce sevrage brutal même si ils avaient commencé à limiter leurs prises. L'Europe importait environ 2,7 millions b/j de brut et 1,5 million b/j de produits pétroliers, principalement du diesel, avant l'invasion de l'Ukraine. 

Plus du quart des importations européennes (172 Mt avec le Royaume-Uni en 2021) sont à trouver sur les marchés mondiaux sachant que ceux-ci sont eux-mêmes alimentés à 12 % par le robinet russe. Bien que les échanges de pétrole brut devraient rester en deçà des niveaux antérieurs à la pandémie, les volumes transportés par la mer pourraient connaître une augmentation de 3 à 4 %, estime ING du seul fait du remodelage des routes pétrolières russes. 

Explosion des exportations de brut américain

Et pour cause, le transatlantique s’impose. Les exportations de brut américain à destination de l'Europe, notamment l'Espagne, le Royaume-Uni, le Danemark et l'Italie, ont atteint près de 1,5 million de barils par jour (Mb/j) jusqu'à présent en avril, soit le niveau le plus élevé depuis deux ans et l'un des mois les plus forts jamais enregistrés, a indiqué la société spécialisée dans les matières premières Kpler. 

Avec un pétrole à plus de 100 $ le baril, la production est stimulée dans le bassin permien, le principal gisement de schiste des États-Unis. La production devrait atteindre un niveau record de 5,1 millions de barils en jour en juin selon l'Energy Information Administration (EIA). Les exportations de brut américain ont explosé de 32 % à 52 % au cours des deux dernières semaines par rapport à la moyenne de 2,82 Mb/j de janvier à mars, avec 3,72 Mb/j exportés la semaine se terminant le 22 avril et 4,72 Mb/j pour la semaine d’avant.  

« Avec un certain nombre de raffineurs qui évitent actuellement le brut russe, la demande de barils de remplacement fait la part belle brut américain », a confirmé la société d'analyse pétrolière Vortexa. 

Les raffineries britanniques, qui prévoient de s’affranchir progressivement des importations de pétrole russe d'ici la fin de l'année, ont acheté le mois dernier le plus gros volume de brut américain depuis deux ans et demi, selon les données d'Eikon. L'Espagne prévoit, elle, d’importer un record de 7 millions de barils de brut américain en avril, selon les données de suivi des cargaisons, après un pic en mars de près de 6 millions de barils déchargés notamment par Repsol, Cepsa et BP. 

Pression accrue sur les aframax et les suezmax

L’intense activité sur les trajets transatlantique depuis la côte du Golfe des États-Unis n’a pas les effets escomptés sur les tarifs d’affrètement qui ont d’abord chuté avant de se reprendre en raison d’une concurrence accrue entre les suezmax (longue distance, capacité de transport de 1 million de barils) et les aframax (moyen-courrier pour une capacité de 750 000 barils). 

La concentration sur ces tonnages est d’autant plus critique que les pétroliers russes sanctionnés représentent 2 % de la flotte mondiale de suezmax et 7 % de la flotte mondiale d'aframax. 

La pression accrue sur la disponibilité de ces navires et la poussée des exportations sont telles qu’elles ont incité les grandes compagnies pétrolières à solliciter les VLCC. Ainsi, jusqu'à présent, au mois d'avril, neuf VLCC ont été réservés pour des trajets transatlantiques contre cinq en mars. Seuls deux méga pétroliers avaient été réservés en janvier et février 2022 et cinq en 2020. 

En revanche, la proximité ne fera pas les affaires des pétroliers pour ce qui est du pétrole russe. L’Inde et la Chine n’ont pas eu les pudeurs de jeune fille de la Vieille Europe à l’égard des atrocités russes et ont déjà manifesté leur intérêt pour le pétrole devenu paria. Tous deux s’organisent même actuellement pour augmenter leur capacité à importer davantage qu’ils ne le font aujourd’hui en abaissant les droits de douane. 

États-Unis, fournisseur mondial de GNL

Les mouvements sur le terrain des méthaniers préexistaient aux derniers événements. Les États-Unis ont pris l’ascendant sur la livraison mondiale de GNL l’an dernier et ils devraient confirmer cette année leur statut de premier exportateur.  

Les importations de GNL dans l'UE (78 Mt de GNL en 2021) augmentent à un rythme effréné. L’an dernier, l’UE des Vingt-Sept avait déjà été le troisième plus grand importateur maritime de GNL au monde, avec une part de 15,8 %, derrière la Chine (20,2 %) et le Japon (19,7 %), selon les données publiées récemment par le courtier maritime Banchero Costa. Mais il faut surtout remonter à 2019 (2020 étant une année blanche) pour appréhender le phénomène. Les arrivées de GNL avaient alors bondi de 65,4 % sur une base annuelle pour atteindre 65,6 Mt selon le courtier.

L’Europe devant la Chine et le Japon pour ses imports

Au cours des trois premiers mois de 2022, 22,1 Mt de GNL par voie maritime (dont 6,4 Mt pour la France) ont été acheminés vers les ports européens, à comparer aux 12,8 Mt des trois mois de 2021. Le GNL américain a représenté 10,4 des 22 Mt (avec la France comme premier destinataire en mars), contre 3,1 Mt au premier trimestre de 2021. Les États-Unis se sont engagés à augmenter leurs livraisons à l'Europe de 15 milliards de m3 par an en 2022 et de 50 milliards de m3 d’ici 2030.

Depuis le début de l’année, le Vieux Continent a supplanté – une fois n’est pas coutume –, à la fois la Chine et le Japon, les deux importateurs historiques. Les prix au comptant élevés actuels, dans un contexte de demande européenne accrue de GNL, ont freiné l’appétit de l'Asie. Ce repli n’est pas non plus sans lien avec la production nationale de charbon record de Pékin, ayant donné la priorité à l’électricité à partir du charbon, et avec le fait que les services publics chinois se sont largement retirés du marché spot pour se concentrer sur leurs volumes contractuels.  

Le gaz russe n’a pas pour autant disparu. Et l'UE a même augmenté ses réassorts de 49,1 % en important 4,1 Mt, un record absolu. Selon les données compilées par les analystes de matières premières Kpler, les méthaniers vont être encore sacrément sollicités : 11,13 Mt sont attendus en avril.  

Des obstacles : la disponibilité des navires

Mais il y a des freins à cette perspective favorable à la mer et au long-courrier. La croissance des flottes reste limitée dans tous les catégories du transport maritime de vrac : la flotte de vraquiers est appelée à augmenter de 2,8 % et  celle des pétroliers de 3,5 % cette année.

Pour les méthaniers, la flotte (681 unités en 2021) devrait s’étoffer d’environ 200 navires, actuellement en commande. Mais il faudra attendre quelques années pour qu'ils soient livrés et une capacité supplémentaire de 8 milliards de m3 seulement est attendue dans les deux ans.

« À raison de sept rotations par navire et par an, la capacité annuelle supplémentaire est estimée à 54 milliards de m3 à l'échelle mondiale d'ici la fin de 2023 », a calculé ING. Mais l'offre et la capacité supplémentaires des navires étant limitées, « les importations supplémentaires de GNL devraient être freinées à court terme. »

Adeline Descamps

 

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