Bilan et perspectives dans le secteur aérien

François Collet, expert en économie du transport aérien et des aéroports, revient sur les principaux dossiers traités dans ce secteur en 2015 ainsi que les perspectives pour l’année.
Comment s’est porté le fret aérien en 2015 ?

Selon l’Iata, le trafic mondial de fret des onze premiers mois de l’année 2015 était fin novembre, en tonnes-kilomètres transportées, supérieur de 2,3 % à celui de 2014. La croissance a donc ralenti par rapport à l’année 2014 qui avait connu pour la même période un taux de 4,4 % pour le trafic total en TKT dont 4,7 % pour le trafic international et 2,7 % pour le trafic domestique.
Ce ralentissement est à rapprocher de celui du commerce mondial dont la progression est tombée d’une année sur l’autre de 3,4 à 2 %, notamment en raison du ralentissement des importations de la Chine et d’autres pays émergents, ainsi que des récessions marquées qu’ont connues en 2015 le Brésil et la Russie. Certaines de ces tendances marquent des inflexions structurelles, ce qui semble être le cas de l’économie chinoise qui évolue vers moins de dépenses d’équipement et d’industrie et plus de consommation et de services. La Russie et le Brésil ne sortiraient par ailleurs de la récession, selon l’OCDE, qu’en 2017. Enfin, certaines tendances au protectionnisme semblent s’affirmer ici ou là.
Au total, les chiffres des échanges internationaux en 2015 se sont situés, selon une déclaration récente de l’économiste en chef de l’OCDE, parmi les plus mauvais des cinquante dernières années.

Comment s’annonce 2016 ?

Le fret aérien est structurellement corrélé au commerce mondial, comme nous venons de l’observer pour les chiffres de l’année 2015. L’OCDE parie sur une “modeste reprise” de la croissance et du commerce dans les deux prochaines années, notamment sur fond de relâchement des contraintes pesant sur les pays producteurs de matières premières.
Cette modeste reprise annoncée est cependant présentée comme fragile par les prévisionnistes de l’organisation qui reconnaissaient récemment une incertitude de l’ordre de deux points sur la demande chinoise en 2016 et 2017, et d’au moins un demi-point de croissance par an pour
l’économie mondiale dans son ensemble sur la même période.
En partant des prévisions du FMI rendues publiques par Christine Lagarde en janvier 2016 pour l’économie mondiale (3,4 % en 2016 et 3,6 % en 2017 après 3 % en 2015), et en supposant que le taux d’évolution du fret aérien mondial serait comme en 2015 de 0,7 % inférieur à la croissance de l’économie mondiale, on aboutit à un taux annuel de croissance de 2,7 à 3 % lors des deux prochaines années.

Le secteur du transport aérien est resté en marge des engagements pris lors de la Cop21. Rate-t-il le train ?

La 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Cop21) a eu lieu du 30 novembre au 12 décembre 2015 au Bourget. Ce qu’on appelle dans cette dénomination les “parties” sont essentiellement les États.
L’objectif de la conférence était, selon la terminologie officielle, “d’aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’impulser/d’accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone”. En lui-même, cet objectif impliquait à mes yeux de se référer avant tout à des notions très globales comme l’élévation des températures moyennes et les émissions de gaz à effet de serre toutes activités humaines réunies, et non d’entrer dans le détail par secteur d’activité. C’est donc assez logiquement, me semble-t-il, qu’on n’a parlé spécifiquement ni des émissions du transport aérien ni de celles du transport maritime, les deux représentant ensemble environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Ce qui précède ne signifie nullement dans mon esprit que le transport aérien se tiendrait actuellement en dehors des efforts de la communauté mondiale dans le domaine environnemental en général et dans celui des émissions de gaz à effet de serre en particulier. L’industrie de la construction aéronautique en général (avionneurs et motoristes) mène en permanence des recherches visant à améliorer l’efficacité énergétique des avions de transport et à limiter leurs émissions. Par ailleurs, un projet européen comme le projet Sesar (Single European Sky ATM Research) est basé sur une approche très globale de la gestion du trafic aérien intégrant l’ensemble des acteurs de la filière aérienne y compris les fournisseurs de services de navigation aérienne ou ANSP (Air Navigation Service Providers) et vise des objectifs ambitieux en termes de consommation de carburant et d’émissions de CO2. Un projet comparable existe par ailleurs aux États-Unis.

La chute du prix du baril de pétrole redonne un peu de souffle aux compagnies aériennes. Comment profitent-elles de ce contexte ?

Il est certain que la baisse du prix de baril de pétrole permet pour les compagnies aériennes une économie de coûts d’exploitation, ce qui a eu en 2015 deux effets : une amélioration de leurs résultats financiers, donc de leur rentabilité, et simultanément une nette croissance du trafic.
L’amélioration des résultats financiers résulte d’un effet mécanique évident à trafic constant et se renforce encore en cas d’amélioration des taux de remplissage et d’amélioration de la productivité, ce qui a été le cas en 2015.
C’est ainsi que, selon Tony Tyler, le directeur général de l’Iata, qui commentait en décembre les dernières prévisions de résultats des compagnies aériennes internationales pour l’année 2015, leurs bénéfices nets cumulés devaient atteindre 33 milliards de dollars pour l’année et couvrir, pour la première fois, le coût du capital.
La croissance du trafic passagers a dans le même temps été de 6,7 %, ce qu’on peut expliquer par la bonne santé de l’économie américaine et une dynamique de croissance retrouvée dans un certain nombre d’États européens dont la France ne fait malheureusement pas partie.

Alors que la concurrence semble de plus en plus rude, de nouveaux acteurs se montrent intéressés par le fret aérien, à l’image d’Amazon. Ce choix vous paraît-il judicieux à court, moyen ou long terme ?

Pour une entreprise comme Amazon, le développement d’une activité de transport aérien peut a priori représenter une augmentation de sa valeur ajoutée dans le domaine logistique par élargissement de son métier. Mais encore faut-il qu’elle puisse produire ce surcroît de valeur ajoutée moins cher que le prix auquel elle l’achète à un prestataire comme UPS et sans aléa ou risque de rigidité plus grande. En contrepartie, elle l’aborde avec un atout important car elle possède déjà un système d’information très développé qui se situe sans aucun doute au cœur de son modèle économique et auquel peut vraisemblablement être ajoutée assez facilement une partie complémentaire concernant les différentes phases du transport, aussi bien entre ses entrepôts que jusqu’au client final. Par ailleurs, Amazon a manifestement les moyens d’investir et de poursuivre une stratégie de croissance, y compris par diversification de ses activités.
L’annonce à laquelle vous faites allusion est à ma connaissance récente et semble s’inscrire dans un premier temps dans une logique de test puisqu’un B767 serait d’abord loué et non acheté. Mais le projet pourrait ensuite, selon certains articles publiés, aller beaucoup plus loin et rapidement puisqu’il semble être question d’une flotte de 20 avions.
Au total, le dossier est a priori à suivre car Amazon a vraisemblablement cherché sérieusement où pourraient se trouver pour elle de nouveaux leviers de croissance avant d’arrêter l’orientation qu’elle a au moins décidé d’explorer.

Alors que les gros porteurs semblaient représenter l’avenir du transport aérien, les compagnies reviennent à des appareils de taille plus “normale”. Ces choix peuvent-ils conduire à un retour en arrière concernant le fret qui s’est concentré ces dernières années dans les soutes des vols passagers ?

La notion de “taille normale” d’un avion ne me semble pas assez précise. Si je me réfère au transport de passagers, je constate que les grandes compagnies utilisent à la fois, et selon les étapes, des avions à fuselage large, notamment en long-courrier (B777, A330…) et des avions à fuselage étroit (B737, A320) sur le segment du court et moyen-courrier. Il est vrai que le très gros avion qu’est l’A380 a quant à lui un marché assez étroit car il se prête mal à l’optimisation des fréquences vue du côté demande des passagers, et ne peut être utilisé que sur des lignes à très gros volumes de trafic dont le nombre est limité.
En ce qui concerne le fret, la question des fréquences est moins déterminante que pour le trafic de passagers, mais celle de la multiplicité des dessertes directes possibles est comparable, d’où le transport dans les soutes des vols passagers : il faut aller partout, si possible sans rupture de charge, et pas seulement là où les volumes justifient des avions cargo pleins.
J’ai donc tendance à penser que la tendance constatée ces dernières années n’a pas de raison fondamentale de s’inverser.

Certains aéroports français (Vatry et Chateauroux) avaient fait le choix de se développer dans le fret aérien. Or ces stratégies n’ont pas payé. Comment expliquer cet échec ?

Cette question peut se relier à la précédente : le tout-cargo ne constitue un mode optimal que pour de gros volumes assortis de fréquences régulières. Et les plateformes d’éclatement entre une partie long-courrier et des segments court-courriers doivent nécessairement être des hubs.
On voit bien, en France, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les volumes traités à CDG et les volumes traités sur les aéroports de province, dont le plus important a un trafic de fret avionné 30 fois moindre que la plateforme parisienne, alors que le rapport équivalent se situe entre 5 et 6 pour le trafic de passagers.
Ma réponse à votre question est donc la suivante : les volumes significatifs de fret passent jusqu’à présent, sauf exception, par des hubs aéroportuaires situés au cœur de zones d’activité économiques très importantes, notamment en France. La zone d’activité peut cependant être plus dispersée que dans le cas de l’Île-de-France : je pense à l’aéroport de Liège qui s’est affirmé comme un spécialiste du tout-cargo alors que la ville de Liège elle-même n’est pas une métropole majeure. Mais elle est située au cœur de ce que les géographes appellent la banane bleue. On y trouve notamment, à moins de deux heures de route de l’aéroport, les agglomérations de Bruxelles, Anvers, Düsseldorf, Cologne et, très près de Liège, tout l’État du Luxembourg.
En tout état de cause, l’aéroport de Chateauroux ne correspond clairement pas au critère énoncé, et celui de Vatry n’y correspond probablement pas suffisamment, même s’il en est moins éloigné.

Voit-on déjà les effets de la prise en main de l’aéroport de Toulouse par un consortium chinois ?

Le nouvel actionnariat de la Société aéroportuaire de Toulouse-Blagnac n’a pas apporté, à ma connaissance, de bouleversement à court terme au fonctionnement de l’entreprise et le trafic a connu en 2015 une croissance modérée comme les quatre autres principaux aéroports de province (3,1 % à Nice, 2,8 % à Lyon, 1 % à Marseille et 2 % à Toulouse).
Il faut cependant noter une plus grande volonté de dimensionner largement les investissements dont le programme a été revu à la hausse et correspond selon les dernières annonces à une capacité annuelle portée à 12 millions de passagers d’ici 2018, soit 56 % de plus que le trafic de 2015 qui a été de 7,67 millions.

La multiplication des actes de terrorisme à travers le monde pénalise-t-elle le transport aérien ? De quelle façon ?

Les actes terroristes créent évidemment une inquiétude chez les passagers aériens, notamment parmi les touristes potentiels dont certains ont renoncé à leurs séjours en 2015 dans des pays d’accueil comme la Tunisie et l’Égypte, mais aussi à Paris en fin d’année après les attentats du 13 novembre, les clientèles concernées étant principalement européenne et russe dans le premier cas, mais aussi américaine et asiatique dans le second.
Pour donner un chiffre, retenons qu’Air France a estimé l’impact des attentats du 13 novembre à 70 millions d’euros sur son chiffre d’affaires de décembre après 50 millions sur celui de novembre, mais a noté une “nette atténuation de la baisse” au cours des deux dernières semaines de décembre.
Au total, la baisse constatée est à relativiser, notamment dans le cas d’Air France qui prévoit de dégager, malgré les attentats du 13 novembre, un bénéfice sur l’ensemble de l’année 2015.
Mais la question qui reste posée est de savoir si l’inquiétude a été plutôt conjoncturelle ou si elle peut devenir structurelle, question qui dépend probablement des zones géographiques concernées mais aussi de nouveaux événements possibles, par exemple en France, dont nul ne peut véritablement évaluer le niveau de probabilité. Mon sentiment est qu’il faut, à l’heure actuelle et pour une durée qu’on ne connaît pas, vivre dans ce domaine avec l’incertitude.

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