Controverse autour du plus gros projet de méthaniseur de France

Huit digesteurs de 24 mètres de haut, 170 passages de camions par jour, 498.000 tonnes de matières organiques par an, 230 agriculteurs engagés... En Loire-Atlantique, le plus gros projet de méthaniseur de France passe mal : habitants et élus s'inquiètent de la "démesure" du projet.
À Corcoué-sur-Logne, au sud de Nantes, le long de la route qui mène au site du futur méthaniseur géant "Méta Herbauges", des panneaux triangulaires "Non à la méthanisation XXL", donnent le ton. Un permis de construire a été déposé en avril mais le projet, lancé en 2019, est classé ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et doit obtenir une autorisation préfectorale.

Porté par la coopérative d'éleveurs bovins Coop d'Herbauges (51 %) et la société danoise Nature Energy (49 %), qui se présente comme le "leader mondial en méthanisation", Méta Herbauges est, selon ses promoteurs, un "projet collectif de territoire" visant à démocratiser la méthanisation. L'investissement est évalué à 90 millions d'euros.

L'idée est d'assurer aux 230 agriculteurs engagés des revenus complémentaires d'environ un Smic par mois "sans rien changer à leurs pratiques" grâce à la prise en charge de leurs effluents d'élevage, fumiers et lisiers, ainsi que des cultures intermédiaires (seigle, sorgho) pour en faire du "gaz vert" réinjecté dans le réseau à 20 km de là.

Selon Nature Energy, l'usine assurerait une production de 250 GWh/an, soit 0,55 % de la consommation de gaz française, tout en évitant 59.000 tonnes de CO2 par an.

"Ce projet est un exemple de production locale d'énergie verte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'élevage plutôt que de faire venir du gaz de schiste d'on ne sait où", plaide Alban Sauvaget, producteur de lait et céréales impliqué dans le projet, qui prévoit des économies d'engrais chimiques grâce au digestat issu de la méthanisation.

Pour cet agriculteur, c'est aussi une "piste sérieuse, qui relève parfois de la survie, pour asseoir une production laitière menacée sur le territoire".

Principales critiques des opposants : la taille du projet "cinq fois plus important" que le plus gros méthaniseur existant en France, selon un récent rapport de la Commission nationale du débat public (CNDP), et "le sentiment d'avoir été mis devant le fait accompli", selon Claude Naud, maire DVG de Corcoué. "Il faut produire beaucoup pour atteindre un seuil de rentabilité, mais là on est dans la démesure", observe cet élu.

Même son de cloche du côté de la Vendée voisine. "Je suis pour une économie circulaire de proximité, mais là c'est un mastodonte avec des éleveurs éloignés de 80 kilomètres. On va faire rouler des tas de camions dans tous les sens", s'inquiète Alain Leboeuf, président LR du conseil départemental.

Énergie locale contre énergie fossile importée

Pour répondre aux opposants, la CNDP préconise une large concertation et la possibilité de modifier le projet. "On l'a figé avant d'aller voir les habitants, une méthode à l'ancienne pour des projets de cette taille", confirme Bertrand Lemoult, directeur de recherche à l'école d'ingénieur IMT Atlantique.

"L'enjeu est de remplacer des énergies fossiles qui viennent de loin par la production d'énergies locales. On a absolument besoin de gaz renouvelable mais ça crée des nuisances qui, auparavant, étaient externalisées. Pour vivre avec, il faut que le projet soit co-construit", poursuit l'enseignant-chercheur, pour qui "on voudrait qu'en France les énergies renouvelables soient plus blanches que blanches".

Par son ampleur, le projet de Corcoué soulève aussi des interrogations sur l'avenir. L'agriculteur va-t-il devoir se transformer en "énergiculteur" pour survivre ? Les cultures qui alimentent les mégas méthaniseurs épuiseront-elles les ressources en eau et en paille en cas de grave sécheresse ?

Pour lutter contre le réchauffement climatique, la loi de transition énergétique encourage fortement la méthanisation, et fixe à 10 % la part de la consommation de gaz renouvelable à l'horizon 2030, contre 0,5 % actuellement. "Pourquoi devrait-on toujours rester à des échelles artisanales alors qu'il est urgent de changer de paradigme énergétique ?", s'interroge Alban Sauvaget.

"Est-ce qu'on va continuer à épandre les effluents d'élevage bruts, d'autant que la France en produit 170 millions de tonnes chaque année ? Le Giec est très clair, il faut arrêter les émissions de méthane provenant du monde agricole", renchérit Guillaume Loir, directeur exécutif France de Nature Energy. Reste que le bilan carbone positif du projet n'est pas démontré : en raison de sa complexité, des facteurs d'émission ne sont pas pris en compte, note la CNDP.

Hélène DUVIGNEAU

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