Desserte de l'Irlande : à Calais, la CFDT mobilisée contre le projet européen ignorant les ports français

À Calais, l’un des ports parmi les plus concernés par le projet européen de nouvelle desserte de l’Irlande qui choisit la Belgique et les Pays-Bas plutôt que la France, l’émotion et la colère sont vives. Et la mobilisation est lancée pour répondre au projet de règlement de la Commission européenne d’ici le 26 septembre.
Pour la CFDT, l’objectif est clair : faire amender le projet européen de desserte de l'Irlande en intégrant et en renforçant la place des ports français ou obtenir son retrait. "Nous avons été stupéfaits par le projet de règlement de la Commission européenne qui propose de mettre en place des lignes pour relier l’Irlande et le continent en excluant les ports de Calais, Boulogne et Dunkerque, explique Christophe Fontaine, délégué syndical CFDT du port de Calais (Société d’exploitation des ports du Détroit/SEPD). C’est un projet insensé et inacceptable en l'état. D'abord, dans la forme employée par la Commission européenne qui publie le 1er août 2018 en plein cœur de l’été un tel projet. Ensuite par la méthode employée : si le contournement du Royaume-Uni a bien été évoqué depuis le début du Brexit, jamais l’hypothèse d’une desserte de l’Irlande ignorant nos ports n’a été mis sur la table auparavant. On parlait même de développer de nouvelles lignes au départ et à destination de Calais. Enfin, sur le fond, ce projet est un non-sens géographique, social, économique et environnemental. En plus des conséquences économiques et financières, avec ce genre de projet, les emplois directs et indirects dans nos ports comme dans les territoires pourraient être impactés, l’attractivité et l'activité de nos ports touchées".
Christophe Fontaine, Olivier Lemaître, délégué syndical CFDT du port de Calais, et Frédéric Jossien, élu au CE du port de Calais, rappellent leur mobilisation, leurs nombreuses interventions et leurs initiatives sur le Brexit avec ses conséquences encore largement inconnues. "Nous réagissons très vivement car, avec ce projet, la Commission européenne prend le risque de "jouer" non seulement avec l’économie portuaire, mais surtout, encore plus à nos yeux, avec les emplois portuaires... Notre priorité en tant que représentants du personnel, c'est la préservation et le développement des emplois, du pouvoir d’achat et la pérennité des ports et de leurs activités". La SEPD, ce sont environ 700 emplois directs sur les ports de Calais et Boulogne-sur-Mer et, dans les ports des Hauts-de-France, ce sont plusieurs milliers d’emplois directs et indirects.

"Une certaine improvisation de l’État"

"Sur le sujet du Brexit, depuis un an et demi, nous n'avons cessé d'alerter le gouvernement, les autorités étatiques, les différentes administrations, les ministères concernés ainsi que les politiques : que ce soit le président de la République, le Premier ministre, les ministres, les députés de nos circonscriptions, les élus locaux et régionaux. Nous avons été écoutés mais pas encore assez entendus a priori. Nous avons tenté de jouer le "jeu" institutionnel et nous continuons d'ailleurs, mais nous avons été les témoins de ce qu'on peut appeler "la navette administrative" : les uns renvoyant sur les autres et inversement. En fait, c’est une manière de botter en touche, de n’apporter aucune réponse. C'est tout au moins notre impression ou notre sentiment aujourd'hui. Pour nous, l'État et le gouvernement français démontrent là une certaine improvisation alors que nous les alertons depuis le début sur le Brexit, sur ses inconnues et ses conséquences néfastes possibles sur l'emplois, l'activité des ports et leur pérennité. Nous avons été reçus mi-juillet au ministère des Transports : personne ne nous a parlé de ce projet, de cette hypothèse d'exclusion des ports français. On se rend compte aujourd'hui qu'ils n'étaient pas vraiment au courant et surtout qu'ils ne s'attendaient pas à un tel rapport, aussi "orienté". Alors que, dans le même temps et depuis longtemps, l’économie bleue, le développement des ports, l’importance des façades maritimes de la France sont souvent présents dans les discours officiels".
La ministre chargée des Transports, Élisabeth Borne, avait accompli un déplacement officiel sur le Calaisis le 27 juillet 2018. Elle avait visité le poste central de sûreté et les installations du tunnel sous la Manche, le Cross Gris-Nez, chargé notamment de la surveillance du détroit du Pas-de-Calais, un des plus fréquentés au monde, elle a rencontré les équipes de la SNSM. "Mais elle n’a pas prévu ni intégré le port de Calais dans sa visite officielle, ni même le chantier Calais port 2015", relèvent les délégués syndicaux qui se demandent ce qu’il faut en penser alors que ce déplacement concernait le bon fonctionnement des transports en France et avec ses voisins proches, en particulier le Royaume-Uni notamment dans la perspective du Brexit.

Absence d’étude d’impact

Christophe Fontaine poursuit : "Alors qu’il s’agit d’un projet d’ampleur de nouvelle desserte, d’une modification majeure qui est susceptible d'avoir des conséquences sur les ports d’un État membre, le texte de la proposition de la Commission européenne ne fournit aucune raison claire et, en plus, ne prévoit et ne se base sur aucune étude d’impact pour appuyer son rapport. Cela ne peut qu’interpeller lorsqu'on sait les enjeux. Est-ce un oubli (in)volontaire ? Est-ce le résultat d'un lobbying ? De manière provocatrice, on pourrait même se demander à qui profite le "crime" ? En tout cas, dans ce texte, l’Europe privilégie clairement les ports belges et néerlandais. Contrairement à la France, le lobbying des Belges et des Hollandais semble avoir été pour l'instant beaucoup plus efficace. On s’interroge d’ailleurs : est-ce lié aux négociations conduites dans le cadre du Brexit ? Est-ce le résultat d’autre chose ? Les véritables raisons nous semblent pour le moins obscures. Et les quelques arguments à peine évoqués dans le rapport nous semblent assez fallacieux. Pour nous, un des messages subliminaux derrière ce projet, c’est que la Commission européenne semble reconnaître officiellement qu'elle est davantage complaisante avec les ports de la Belgique et des Pays-Bas qu'avec ceux de la France, alors que les ports de ces pays connaissent des phénomènes de congestion également. À travers le texte tel qu'il est rédigé et orienté aujourd'hui, nous estimons que ce projet fait le choix, en filigrane, du dumping social, de la discrimination et de la concurrence déloyale. Face à cela, les ports français doivent être unis et réagir. Et c’est le cas. Sinon, quelle sera la prochaine étape ? Quel sera le prochain coup porté ? Nous souhaitons obtenir des garanties formelles pour nos ports. Ce que nous voulons c’est l’amendement ou le rejet du projet de règlement. À force de ne pas anticiper, de ne pas réagir, on ne peut que subir".

Peser dans le débat à Bruxelles

Pour Valérie Latron, responsable Europe et international pour la FGTE-CFDT : "Avec ce projet, le corridor mer du Nord-Méditerranée devient corridor Manche Est/mer du Nord-Méditerranée dont une grande partie de la France est exclue et n’est plus traitée de manière égale par rapport aux autres États membres. Les RTE-T doivent favoriser la libre circulation des personnes et des biens, la croissance, les emplois entre tous les États membres. Exclure la France revient à freiner la croissance et à favoriser le dumping social. Ce sujet relève du dialogue social sectoriel européen. Nous sommes en train de travailler au niveau européen et ferons part de toutes nos observations à la Commission européenne d’ici le 26 septembre. Notre objectif est clair : faire modifier le projet ou obtenir son retrait. Nous allons tout faire pour peser dans le débat à Bruxelles".
Elle rappelle que le détroit du Pas-de-Calais est l’un des plus fréquentés au monde, voire encombrés. L’intensité du trafic a des conséquences sur l’environnement et sur la santé des citoyens avec notamment les émissions polluantes et cela malgré la limitation de la teneur en soufre des carburants utilisés par les navires. "Le projet n’est pas acceptable d’un point de vue géographique, social, économique ou environnemental. Il faut privilégier les lignes les plus courtes et les moins polluantes entre l’Irlande et le continent donc celles qui passent par les ports français".
Enfin, Valérie Latron s’interroge : "Tel qu’il est présenté, ce projet peut aussi avoir des conséquences sur Seine-Nord Europe alors que la région des Hauts-de-France est mobilisée pour la réalisation de cette nouvelle infrastructure. Il peut aussi avoir des conséquences pour l’axe Seine".

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