Le TGV en Californie, un projet de train fantôme ?

Keith Erwin était sur le point d'acheter les murs du garage qu'il gérait depuis des décennies lorsqu'on lui a demandé d'aller voir ailleurs : le TGV tant attendu par les Californiens allait passer par là. Cinq ans plus tard, il ne voit toujours rien venir et n'y croit plus.
"C'est un train qui ne va nulle part", lâche le mécanicien dans son atelier de Fresno, qu'il a finalement établi à quelques mètres seulement du tracé prévu pour le fameux TGV. Et même si les travaux sont lancés à Fresno, Keith Erwin "ne pense pas qu'ils vont le construire, je pense qu'ils n'ont plus d'argent".
En février, le nouveau gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a en effet annoncé qu'il revoyait drastiquement à la baisse le projet de train à grande vitesse censé relié Los Angeles à San Francisco en trois heures, pourtant adopté par référendum en 2008 par ses concitoyens. Et l'administration fédérale a fait savoir en mai qu'elle annulait une subvention de plus de 900 millions de dollars, en raison de "retards chroniques" dans le chantier. À la décharge des autorités, le TGV californien s'est heurté à une multitude d'opposants et de procédures en justice, et les travaux n'ont pas pu démarrer avant 2015.
Le train n'a jamais été populaire dans un État où les distances sont certes importantes (la superficie de la Californie est 75 % de celle de la France) mais où la voiture est reine. Alors que de nombreux pays se dotaient de lignes à grande vitesse à partir des années 1980, la Californie, elle, investissait imperturbablement dans ses infrastructures routières.
"L'État avait cette culture de la voiture, et particulièrement ici dans la Vallée centrale", déclare Diana Gomez, responsable régionale de l'Autorité du TGV de Californie, entité responsable de la conception, de la construction et de la mise en œuvre du projet. "Mais c'est en train de changer", assure-t-elle, relevant que les nouvelles générations veulent désormais bénéficier de transports en commun et parient sur le train à grande vitesse, meilleur pour l'environnement.

Le coût du projet a augmenté de 20 %

Pour parcourir les 600 km séparant Los Angeles de San Francisco, il faut au minimum six heures de route. Le trajet ne demande qu'une heure en avion mais avec les embouteillages chroniques et les contrôles de sécurité, les trois heures de TGV constituaient pour beaucoup une solution intéressante. Le gouverneur Newsom a tranché : "Pour l'instant, il n'y a tout simplement pas moyen de relier" les deux villes, d'autant que le coût du projet a augmenté de 20 % par rapport aux estimations initiales, pour atteindre 77 milliards de dollars au total. Ce n'est pas un abandon, a-t-il juré.
Le projet doit désormais se concentrer sur une portion de 200 km dans la Californie centrale, une zone rurale et relativement isolée entre Merced et Bakersfield, avec Fresno (un demi-million d'habitants) au milieu. Mais les experts regrettent cette solution minimaliste : "Cela n'a vraiment aucun sens", lance Anastasia Loukaitou-Sideris, qui enseigne l'aménagement urbain à l'université Ucla de Los Angeles. "Tout projet de transport qui se respecte doit avoir un grand centre urbain comme point de départ et d'arrivée", insiste-t-elle, doutant que le tronçon retenu attire suffisamment de passagers pour être viable. Pour Diana Gomez au contraire, il ne s'agit que d'un début : "Nous avons assez de fonds pour construire sur ce segment, et ensuite nous continuerons à travailler pour le reste" quand le TGV aura démontré son utilité.
Les obstacles sont nombreux, notamment les procédures d'expropriation (vignobles, élevages, vergers, etc.) qui se sont avérées bien plus compliquées que prévu. "C'était le chaos", confirme Keith Erwin. "Les gens étaient désorganisés, ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Ils n'arrêtaient pas de nous promettre des choses (...) On cherchait à les joindre et soit ils avaient été licenciés soit ils avaient démissionné. C'était juste un énorme bazar", assure le garagiste.
Pour Marty Wachs, spécialiste des transports urbains et de l'aménagement du territoire à l'Ucla, la Californie aurait dû capitaliser sur son réseau ferroviaire existant, notamment dédié au fret. Mais les autorités ont choisi de bâtir de zéro une ligne TGV réservée au transport de passagers, qui longe parfois les vieux rails déjà en place. "J'aurais plutôt conseillé d'améliorer les dessertes" entre le Nord et le Sud de l'État "jusqu'à ce que nous ayons un réel train à grande vitesse", a expliqué Marty Wachs. Le premier TGV ne devrait pas traverser Fresno avant une dizaine d'années au mieux. Et même si c'est le cas, "je ne le prendrai jamais", grogne Keith Erwin.

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