Le maintien à niveau de l'outil portuaire est vital pour les Outre-Mer

Pour les départements, régions et territoires d’Outre-Mer, la question du développement portuaire est cruciale. Il y a un an, l’Isemar a consacré aux ports d’Outre-Mer un document récapitulatif de cet enjeu dans les Dom-Com.
Plus que pour tout autre point du territoire français, le sujet des moyens portuaires est vital pour les collectivités ultramarines. L'accessibilité de ces infrastructures, notamment depuis la Métropole, grande pourvoyeuse de biens, est un enjeu essentiel de développement économique et humain. Dans une note de synthèse publiée en mai 2016, l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar), étudiait le positionnement des collectivités françaises vis-à-vis du transport maritime.
Pour l'institut, un premier constat s'impose : "Les impacts liés à la globalisation sont d'autant plus prégnants dans les Dom-Com où l'économie dépend des importations de produits manufacturés et de matières premières transportés par voie maritime". Sur ces territoires soumis à la production extérieure et souvent éloignés de la métropole et aussi des principales routes maritimes, le coût du transport a un impact plus important qu'ailleurs sur la consommation locale, 5 à 10 % du prix de vente au consommateur, selon l'Isemar.
Sauvegarder leur capacité à accueillir des lignes régulières directes est donc une préoccupation majeure pour les ports d'Outre-Mer. Ne pas se laisser "feederiser" ou au moins limiter cet effet est un mot d'ordre répandu dans les directions des ports insulaires.
Pour compter dans un environnement concurrentiel, certains tentent de retourner cette faiblesse en force. "Ces îles sont en recherche constante de nouveaux débouchés. La mer, les ports et la connectivité constituent des éléments-clés de leur essor économique. Elles tentent chacune à sa manière de faire de leur éloignement une opportunité".
Sur le modèle des sept Grand Ports maritimes métropolitains, la réforme de 2012 a modifié le statut de quatre ports ultramarins situés dans des départements et régions d'Outre-Mer (La Réunion, Guadeloupe, Martinique et Guyane) afin de leur donner des moyens stratégiques et d'investissement supplémentaires et impliquant davantage les collectivités territoriales, rappelle l'Isemar. Les autres appartiennent à des collectivités d'Outre-Mer (Com), qui bénéficiaient déjà de statuts particuliers leur conférant une plus grande autonomie : Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

Belle opportunité pour Port Réunion

Les stratégies développées par les ports ultramarins pour défendre ou améliorer leur position sont diverses. De manière assez inattendue, La Réunion a saisi en 2014 l'opportunité de se muer en plateforme d'éclatement de l'océan Indien, avec le concours de l'armateur français CMA CGM. "L'objectif étant de ne pas recourir aux feeders afin de ne pas surenchérir le temps de transit et le coût du passage portuaire". L'île bénéficie d'une situation privilégiée, entre l'Asie et la côte Est africaine, proche en particulier de l'Afrique du Sud, le pays le plus développé dans cette partie du continent, et entre l'Europe et l'Océanie. Elle est aussi bien placée par rapport aux routes reliant l'Asie, l'Inde, le Moyen-Orient et l'Europe, sa principale source d'importations.
Pour le premier port d'Outre-Mer en termes de tonnage et le quatrième de France pour le conteneur, "80 % du trafic conteneurisé sont issus d'un transbordement provenant du Moyen-Orient et de Singapour, et seulement 20 % proviennent de lignes directes venant de l'Europe", écrivait l'Isemar en 2016.
D'après l'institut, "la croissance soutenue des économies africaine et sud-américaine tend à un rééquilibrage stratégique des transporteurs vers la ligne Extrême-Orient-Afrique-Amérique du Sud. Les îles de La Réunion et de Mayotte bénéficient donc d'un atout géoéconomique indéniable. Elles concentrent aussi un volume important de trafics domestiques en provenance de l'Europe. Comme hub régional, Port Réunion devra a priori faire face à la concurrence de Port Louis à l'île Maurice (qui souhaite aussi se spécialiser notamment dans le soutage), alternative aux ports sud-africains congestionnés".
Des lourds investissements ont été engagés pour reconfigurer et mettre à niveau le terminal à conteneurs (dragage, allongement du quai, extension de la zone de stockage, achat de portiques…), dont on attend des retombées importantes en termes d'emploi, de temps de transit et de taux de fret.
Cette fonction nouvelle pour le GPMLR a ouvert des perspectives. Aujourd'hui, Port Réunion bénéficie d'au moins huit lignes directes le reliant à l'Europe (dont Le Havre et Marseille-Fos) et à l'Asie. Plus des deux tiers des touchées sur l'île se font désormais en direct.

La Caraïbe trop concurrentielle

La trajectoire est inverse dans la Caraïbe. Dès leur changement de statut, les Grands Ports maritimes de Guadeloupe et Martinique se sont clairement positionnés sur une stratégie de hub, motivés entre autres par l'élargissement du canal de Panama, finalement achevé en juin 2016. Mais si le trafic dans la zone est conséquent, la concurrence est bien plus exacerbée que dans l'océan Indien.
Pour l'Isemar, désormais, "ce projet semble peu probable, au regard du contexte géoéconomique en présence". L'institut compte quantité d'autres sites "déjà bien ancrés sur le secteur du transbordement international" : le nouveau port de Mariel à Cuba, Freeport aux Bahamas, Kingston en Jamaïque, Caucedo en République dominicaine, Limón au Costa Rica, Colón, Cristobal et Balboa au Panama et Carthagène en Colombie. "Ces ports présentent l'avantage de bénéficier de charges sociales et salariales faibles, d'une fiscalité plus attrayante et de normes environnementales moins contraignantes", rappelle l'auteur de la note.
D'où le positionnement des ports français de la Caraïbe, qui jouent la carte de l'excellence et des standards européens, misant sur un haut niveau de service et de fiabilité, ainsi qu'une plus grande responsabilité sociale et environnementale. "Les ports de Martinique et de Guadeloupe doivent quant à eux palier tout mouvement social qui viendrait éroder leur image, mener des réflexions sur l'organisation du travail et des terminaux (création d'un opérateur unique)", indique le document.
Rappelant que le numéro un français de la ligne régulière, CMA CGM, a obtenu la concession d'un terminal à conteneurs dans le port jamaïcain de Kingston pour développer son hub Panama-Caraïbe, l'Isemar estime que "le plus probable serait de voir le GPM de la Guadeloupe devenir un hub régional dans les Caraïbes Sud en misant sur un service fiable et de qualité".
Si le trafic de conteneurs en transbordement a crû ces dernières années au terminal de Jarry, la stratégie du port de Pointe-à-Pitre se concentre sur les lignes Europe-Caraïbe. "Il souhaite tisser son réseau de manière plus dense autour des Guyane, explique la note de synthèse. Dans son rapport de 2015 intitulé "Les Ports ultramarins au carrefour des échanges mondiaux", le Conseil économique social et environnemental (Cese) préconisait la création d'une véritable synergie portuaire entre la Martinique et la Guadeloupe en renforçant leur complémentarité afin de gagner en compétitivité".

Des réalités multiples

Le document souligne l'importance de la banane dans le trafic des ports des deux îles caribéennes. Cette production représente 75 % des flux totaux en provenance des Antilles françaises vers la Métropole. "Le secteur de la banane est vital pour la Martinique et la Guadeloupe avec un chiffre d'affaires de plus de 200 millions d'euros, hors aides communautaires (…) Il permet de faire vivre 10.000 personnes toutes activités confondues, soit un actif sur vingt sur les îles, observe l'Isemar. Deux bananes sur cinq entrant sur le territoire français sont réexpédiées dans un autre pays européen. La France constitue donc la plateforme de la banane aux côtés du port d'Anvers".
De son côté, l'économie de la Guyane est fortement dépendante du secteur spatial. "Les importations des Caraïbes concernent quasi exclusivement des hydrocarbures provenant de Trinité-et-Tobago. Le GPM de Guyane comporte le port de commerce de Dégrad-des-Cannes ainsi que le port de Pariacabo (port de la base spatiale de Kourou et d'hydrocarbures destinés à l'économie locale)", précise l'Isemar. La région, qui pâtit d'un faible tirant d'eau, étudie la création d'ici 2030 d'une plateforme portuaire offshore de 30 hectares capable de traiter 200.000 EVP par an. L'idée est de pré et post-acheminer les conteneurs par feeders fluvio-maritimes dans les ports de Guyane, du Guyana, du Surinam et du Nord du Brésil. La plateforme serait équipée d'un terminal roulier et pétrolier.
Bien plus au nord, au large de Terre-Neuve, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon voudrait "renouer avec l'époque faste de la prohibition, où il était la plaque tournante du trafic d'alcool". Aujourd'hui, le port de Saint-Pierre se verrait bien en plateforme d'éclatement pour conteneurs à destination de l'Amérique du Nord. Son tirant d'eau naturel lui permettrait d'accueillir de gros navires et de concurrencer les ports du Canada et des États-Unis, "fortement syndiqués et soumis à une législation contraignante en matière de nationalité des équipages et de la fiscalité", note le document. Ce hub aurait une capacité modeste, entre 100.000 et 200 000 EVP.
Dans le Nord de la Caraïbe, cette fois, le port de Gustavia à Saint-Barthélemy et celui de Marigot à Saint-Martin sont, eux, dédiés au transport de passagers et au tourisme de luxe. L'attractivité de Saint-Martin ne profite qu'au Sud d'un point de vue portuaire, puisque la partie néerlandaise de l'île concentre la quasi-totalité de l'activité croisière. Marigot a des projets d'extension de sa capacité conteneurisée pour se placer comme une plateforme de distribution vers les îles proches (îles Vierges britanniques et américaines, Anguilla, Saint-Barthélemy, Saint-Kitts-et-Nevis, Antigua-et-Barbuda, Saba, Aruba, etc.
Dans le Pacifique Sud, la Nouvelle-Calédonie détient la deuxième réserve mondiale de nickel exploitable au monde. Les produits dérivés de ce métal représentent 80 % des volumes exportés par conteneur et un tiers des emplois salariés de l'archipel est lié à l'exploitation de ce minerai. L'économie locale est donc aussi fortement soumise aux variations des cours mondiaux de cette matière première.
Pour tous les ports français d'Outre-Mer ou presque, la croisière est un enjeu majeur. Les territoires antillais et du Pacifique ont l'avantage d'être à proximité de deux très gros pourvoyeurs de clientèle – les États-Unis et l'Australie – et de bénéficier de conditions climatiques très avantageuses pour ce type d'activité.

Nouer des partenariats locaux

"Dans les départements d'Outre-Mer, les ports sont de véritables poumons économiques (...) L'ère du gigantisme et du développement de l'activité de croisière fait peser des contraintes énormes sur les ports en termes d'accès, de profondeur, de moyens de manutention, d'extension des quais, des postes d'arrimage, des écluses s'ils souhaitent être desservis directement", écrivait l'Isemar en 2016. Aux quatre coins de la France ultramarine, les projets d'extension de la capacité croisière ou de traitement des trafics de marchandise conteneurisée sont nombreux.
La note de l'Isemar souligne l'importance de la coopération interportuaire et régionale, qui lui semble "indispensable afin de faire face à la concurrence des pays voisins qui produisent à moindre coût". Des démarches ont déjà été lancées. Ainsi, "la Martinique et la Guadeloupe, concurrents historiques, forment aujourd'hui un marché antillais unique, c'est-à-dire qu'elles constituent un espace de libre-échange où les marchandises importées sont introduites et déclarées à la "frontière" de chacun de ces départements mais y transitent librement".
Pour l'institut, ce travail d'harmonisation douanier et administratif doit être poursuivi pour faciliter encore le transit dans cet espace. Si la portée du conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane, installé en juin 2016, est encore limitée, le projet de cabotage entre le plateau des Guyanes et la mer des Antilles va dans ce sens. L'auteur de la note imagine une transposition dans l'océan Indien avec une synergie Réunion/Mayotte ou dans le Pacifique entre Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
L'Isemar encourage aussi la participation des collectivités françaises d'Outre-Mer aux accords de libre-échange et aux unions douanières locales : "Les flux commerciaux des Dom-Com avec la Métropole représentent 70 à 80 %. Malgré l'accord de Cotonou signé en 2000 entre l'UE et 77 États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) leur permettant d'accéder au marché européen en franchise de droit de douane et sans contingentement, des accords de réciprocité ainsi qu'un renforcement des liens économiques doivent être encouragés afin de rompre avec cette dépendance".
Des initiatives d'intégration régionale des Dom-Com existent : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont membres observateurs du Forum des îles du Pacifique et demandent leur adhésion à l'accord de libre-échange des États du Pacifique (Picta). Les collectivités antillaises se sont rapprochées du Caricom (Communauté et marché commun caribéen) et leurs ports sont intégrés dans le Port Management Association of the Caribbean, outil de promotion de la coopération portuaire régionale. Des pistes pour un développement moins dépendant de la Métropole.

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