Raccordement ferroviaire du port de Marseille : le compromis jugé acceptable

Crédit photo ©GPMM
Vers un épilogue de ce dossier qui a pris la forme ces dernières années d'un serpent de mer ? La « reconstitution des fonctionnalités ferroviaires » du port de Marseille a reçu un avis favorable du commissaire-enquêteur. En dépit du rejet massif des riverains et de la forte mobilisation des associations pour un projet d'apparence vertueux.

L’enquête publique, qui s’est tenue du 10 janvier au 21 février, sur le lourd, long, sinueux et clivant dossier de la réorganisation du fret ferroviaire de/vers le port de Marseille, a trouvé son point final avec la publication le 8 avril du rapport de 143 pages rédigé par le commissaire-enquêteur Jacques Daligaux, qui a émis un avis favorable.

Cette affaire s'inscrit dans la durée car une première mouture, basée sur un mix ferroutage et transport maritime, avait déjà subi un premier rejet en 2015. Elle est éternisée car les deux maîtres d’ouvrages – SNCF Réseau et le Grand Port Maritime de Marseille –, se sont longtemps opposés et « ne se sont pas suffisamment engagés sur les mesures d’atténuation des nuisances (sonores et pollution de l’air) », indique notamment le rapport sans nuances.

Elle est controversée car les aménagements prévus s’insèrent dans un environnement urbain que les riverains, massivement contre et très mobilisés, jugent déjà dégradé en raison de la présence des activités portuaires et maritimes. Le raccordement envisagé traverse la cité de Consolat, son parc urbain et des établissements scolaires et sociaux.

Elle est compliquée car elle est un cas typique des conflits d'usage, des oppositions de principe, des clivages traditionnels entre préservation des activités économiques (et donc des emplois) et cadre de vie. Elle est aussi emblématique de situations où les meilleures intentions dans le principe (report modal de la route sur le rail) peuvent ne pas générer les effets escomptés.

Pourquoi faut-il « reconstituer les fonctionnalités ferroviaires » du port de Marseille ?

Le « projet de reconstitution des fonctionnalités ferroviaires du Canet à Marseille », selon le titre qui lui est accolé dans l’enquête publique, vise à pallier la fermeture de la gare de marchandises du Canet, d’où arrivent et partent actuellement des trains de conteneurs, chargés/déchargés ensuite pour être expédiés vers leurs destinations, continent ou hinterland. Grâce à sa configuration actuelle, des trains dit « longs » (750 à 850 m) peuvent être découpés et accrochés.

La gare est au centre d’un trafic relativement dense (4 à 5 trains quotidiens, 40 000 camions/an) dans la mesure où elle accueille quelque 40 000 UTI entrantes dont 20 000 conteneurs dits « continentaux » (arrivés par trains puis chargés sur des camions pour être acheminés vers les destinations locales ou départementales) et 20 000 dits « maritimes », arrivés par trains puis envoyés, via le site d’Arenc, vers le Terminal Med Europe où ils seront embarqués sur des navires. Dans le sens inverse, elle expédie un volume équivalent.

Sa fonction de redistribution est assurée par deux lignes ferroviaires (propriété de SNCF Réseau), celle dite « de l’Estaque » qui la connecte au réseau national vers Miramas, celle « d’Arenc », qui la branche à la fois au réseau national vers Miramas et au périmètre du Grand Port maritime de Marseille Fos (GPMM).

Or, dans le cadre de l’opération urbaine Euroméditerranée 2, et notamment de l’aménagement d’un ambitieux projet urbain au nord de Marseille (Aygalades), SNCF a cédé l'infrastructure à l’établissement public d’aménagement (après 10 ans de négociations). Elle doit donc fermer en juin 2024.

En quoi consiste le projet ?

Le projet consiste, après une phase transitoire de deux ans (2024-2026), à recréer, sur les bassins Est (intra-muros) du port de Marseille, un chantier multimodal de fret ferroviaire capable d’accueillir et de traiter des trains longs.

Pour ce faire, il va falloir remettre en service la voie ferrée, fermée depuis les années 1990 (« faisceau de Mourepiane » dans le projet) pour faire le trait d’union entre les lignes SNCF et les voies ferrées portuaires sans transiter par la gare du Cannet ni le faisceau ferroviaire d’Arenc.

La fonction « multimodale » sera, elle, assurée au terminal maritime Med Europe, reconfiguré pour la circonstance (où quatre nouvelles voies ferroviaires de 430m seront bientôt opérationnelles). Avec l’ambition d’un report des poids lourds sur le rail mais aussi de certaines marchandises vers le nouveau terminal Ouest Provence de Miramas pour limiter le trafic à Marseille.

Implanté dans la zone logistique Clésud (à 50 km par la route du port phocéen), le futur terminal ferroviaire de la société Terminal Ouest Provence (filiale du groupe Open Modal), qui a posé en octobre dernier le dernier rail, devrait être opérationnel au printemps 2024.

Le terminal de transport combiné rail-route pourra traiter simultanément quatre trains de 850 m et recevra 44 000 UTI/an, dès son ouverture*.

« Le report sur Clésud d’une partie du fret allégera le trafic ferroviaire et routier dans le centre de Marseille, le site du GPMM ne traitant à l’avenir que le trafic maritime et continental à destination de la ville et de l’Est du département », indique le commissaire-enquêteur.

Pourquoi un projet d'apparence vertueux a-t-il suscité un tel rejet ?

L'enquête publique a en effet révélé une franche aversion de la part des riverains « en situation d’exaspération et d’anxiété » et une forte mobilisation des réseaux associatifs : 193 avis contre, dont 185 exprimés par des contributeurs particuliers et huit par des associations, versus 174 voix favorables, parmi lesquelles les 159 du seul collectif UDE13 (Union des entreprises des Bouches-du-Rhône). Seules neuf personnes physiques se sont exprimées en faveur à titre individuel. À noter, le soutien du syndicat CGT des ouvriers dockers et assimilés de Marseille-Est, faisant valoir la question de l’emploi induit par les entreprises de manutention portuaire (500 ouvriers dockers professionnels, 70 dockers dits occasionnels, 100 salariés de la maintenance), et le risque « de voir des armateurs quitter le port de Marseille ».

Dans son principe, le projet est vertueux, convient l'auteur du rapport. Il est censé induire, entre autres, un transfert de la route vers le rail, l'adoption de locomotives basses émissions, un gain d’activités pour le port de Marseille.

Mais dans l’absolu, il n’est pas sans générer de nouvelles pollutions ni créer un sentiment de frustration. Car la création du problématique « faisceau de Mourepiane » et la non moins contestée réouverture de son raccordement, auraient pu être évitées si le projet avait été mieux anticipé. C'est du moins ce que soutiennent les associations et particuliers.

Dans le cadre du projet Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur (LNPCA), il avait été envisagé de moderniser et reconfigurer le faisceau ferroviaire d’Arenc (dont l’allongement des voies de fret est inscrit dans le Contrat de Plan État-Région) afin que puissent s’y opérer l’accueil et le traitement des trains longs, option abandonnée à la demande de la ville de Marseille.

Lors d’une permanence, un collectif d’association avait exposé les avantages de la « solution tout Arenc » : moins de conflit entre trafic de fret et de TER puisque les trains circuleraient dans le même sens ; une plus grande proximité avec les terminaux rouliers situés au sud du port, notamment dans l’optique du développement des « autoroutes de la mer » ; éloignement aux habitations limitant les nuisances sonores.

Pour SNCF Réseau, le faisceau d’Arenc actuel reste très utile pour la réception de trains courts (en complément du futur raccordement de Mourepiane). Et pourrait être, dans l’avenir (après 2032 donc), un itinéraire de sortie du GPMM, « soulageant les sorties » par le raccordement, avait-il opposé.

Quelle configuration durant la phase transitoire 2024-2026 ?

Jusqu’à la mise en service du raccordement et du faisceau de Mourepiane – la gare du Canet étant fermée –, c’est le faisceau d’Arenc qui assurera, dans les deux sens, la réception/expédition et le découpage/assemblage des trains.

Durant cette phase, le trafic ferroviaire sur le faisceau d’Arenc sera allégé des 20 000 UTI, qui seront donc traitées sur le site de Clésud (soit 2 à 3 trains de moins par jour).

Pour ce faire, un ensemble de voies situées au sud du faisceau sera réservé. Mais ces voies, d’une longueur utile de 560 m, ne seront pas adaptées à l’accueil et au traitement des trains longs. C’est pourquoi il est prévu à titre dérogatoire des mesures spécifiques pour permettre un stationnement des trains longs au-delà des voies de stockage et des créneaux allongés pour les manutentions.

Dans cette transition, les craintes portent sur les interférences entre trafics de fret et des TER, auquel sera néanmoins accordée la priorité.

Quelles incidences sur les trafics routier, ferroviaire et maritime ?

L'intérêt d'un tel rapport est aussi de mettre la main sur quelques données. En 2019, selon l’étude d’impact effectuée sur les trafics, jointe au dossier, les bassins Est marseillais ont vu transiter 320 000 UTI (un tiers de conteneurs et deux tiers de remorques) en 3 814 escales de navires dont 1 652 rouliers et 628 porte-conteneurs.

Le trafic des poids-lourds en lien avec le port (hors logistique urbaine) repose donc principalement sur l’embarquement/débarquement de conteneurs, (95 000 UTI/an générant 135 000 camions) et de remorques engendrant 300 000 camions. Les entrées/sorties dans le périmètre portuaire concentrent, elles, 9 000 véhicules chaque jour, dont environ 30 % de camions.

Si l’évolution du trafic maritime n’est pas directement fonction du projet mais des échanges commerciaux internationaux intraméditerranéens, le trafic maritime devrait croître de 0,5 % par an, conteneurs et remorques confondus.

Mais dans la mesure où le projet va « proposer une solution ferroviaire performante », espère l'auteur du rapport, il va favoriser le développement d’une « autoroute de la mer » et pourrait ainsi générer un trafic supplémentaire de 30 000 remorques (dites « remorques nouvelles lignes ») dont 80 % seraient embarquées sur les trains.

À terme, par effet d’entraînement, ce sont 10 % de l’ensemble des remorques « nouvelles » et « historiques », soit 23 000 en 2040 selon les projections, qui pourraient emprunter le train (contre 0 % actuellement).

La seule hausse de 3 % du trafic des conteneurs maritimes sur les bassins Est devrait induire 28 escales supplémentaires en 2026 et 90 en 2046. Le nombre d’escales augmente moins que le trafic car le recours progressif à des navires de plus grande capacité est pris en considération tandis qu'il est escompté de meilleurs taux de remplissage.

Dans ce rapport, on peut aussi lire qu’en favorisant le report modal vers le train, la mise en œuvre du projet ferait passer la part de conteneurs maritimes pris en charge par le train de 13 % actuellement à 20 % en 2040.

Le seul report modal du port génèrerait, toujours selon l'enquête sur les impacts, une économie de 130 poids lourds par jour en 2026 et 270 en 2046, dans les deux sens. Nonobstant la hausse tendancielle du trafic de marchandises…

Les associations ont émis beaucoup de réserves sur ces estimations de report modal en raison des « faiblesses structurelles du transport de marchandises ». Elles anticipent plutôt une croissance du trafic routier acheminant tant les conteneurs maritimes que ceux à destination de la logistique urbaine.

C’est pourquoi elles demandent (Cap au Nord notamment) au GPMM de s’engager sur une proportion/progression du transfert modal vers le rail. Dans la même logique, France Nature Environnement demande que les arrêtés d’exploitation prescrivent « un recours au ferroviaire pour au moins 30 % des marchandises transitant par Med Europe, et ce dès 2030. »

Qu'en conclue le commissaire Jacques Daligaux ?

« En dépit de ces éléments, le projet nous semble être un compromis acceptable entre le maintien de fonctionnalités ferroviaires performantes préservant l’avenir et la prise en compte des attentes légitimes des riverains », convient Jacques Daligaux.

S'il ne se faisait pas, poursuit-il, « la perte de compétitivité d’un fret ferroviaire limité aux trains courts accentuerait la hausse tendancielle du trafic routier de marchandises et aggraverait ses incidences environnementales, notamment aux alentours du port ».

Par rapport aux deux solutions de substitution qui avaient été envisagées, est-il aussi précisé, il est celui dont le coût d’investissement est moindre tout en répondant aux « obligations légales de maintien des services ferroviaires », « à la réduction de l’artificialisation des sols » dans la mesure où il repose sur des installations existantes, à la nécessite de « modernisation des installations portuaires » et de « report multimodal du fret de marchandises ».

Les travaux, d'un coût total de 60 M€, seront répartis entre les deux maîtres d’ouvrages à hauteur de 22 M€ pour le port de Marseille-Fos et 38 M€ dont 13 M€ déjà réalisés par SNCF Réseau dans le cadre du projet de 2015.

Pour limiter les nuisances, le GPMM s’est engagé à ce que les locomotives diesel opérant dans le port et sur le raccordement de Mourepiane soient mises aux normes moins polluantes 97/68/CE avant l’ouverture de la voie. Dans un second temps, l’accès au réseau ferré des bassins Est sera réservé aux locomotives électriques ou à hydrogène « dans l’année qui suivra la commercialisation d’un matériel adapté aux besoins ». Concernant le site d’Arenc, l'autorité portuaire répartira le trafic de façon équilibrée entre les faisceaux de Mourepiane et d’Arenc, indique le rapport.

« Notre position est claire : les projections de trafic de marchandise d’une façon générale, et de report rail-route en particulier, sont par définition incertaines, concède Jacques Daligaux. Cela peut nous conduire à pondérer les effets positifs que le dossier attribue au projet mais cela ne doit pas conduire à rejeter un projet dont ni le succès ni l’échec ne peuvent être aujourd’hui prédits ». En d’autres termes, il faut lui donner sa chance pour que le report modal ait aussi une chance de succès.

Adeline Descamps

*Un investissement d’un peu plus de 38 M€, subventionné par l’Europe, de l’État, la région Sud Provence Alpes Côte d’Azur et de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.

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