Frontline renonce à la fusion avec Euronav

Après des mois d’une bataille haletante entre actionnaires au sein du capital des deux géants du transport maritime de pétrole appelés à fusionner, l’un d’entre eux jette l’éponge. Contre toute attente. La fusion désormais avortée, une question : comment les deux sociétés devenues si familières dans la perspective de la fusion vont-elles se comporter de retour sur le marché avec leur statut de rivale ?

Beaucoup de bruit pour rien. Tout cela pour cela. Cela fait des mois que les deux géants du transport maritime de pétrole tiennent en haleine les acteurs du secteur autour de leur projet de fusion qui devait donner naissance à une société dont la flotte aurait été composée de 69 très gros transporteurs de brut (VLCC), de 57 suezmax et 20 LR2/aframax.

Dans cette série particulièrement rythmée, la bataille d’influence entre les principaux actionnaires de l’armateur belge Euronav et de son homologue norvégien aura été le plus palpitant épisode.

Le dossier était si controversé que tout était envisageable, excepté une renonciation aussi rapide d’une des parties prenantes d’autant qu’aux manœuvres de part et d’autre, les deux candidats à la fusion ont toujours opposé le maintien du calendrier de l’OPA (prévue au premier trimestre 2023).

En ce début d’année, après un mois de décembre dense en moments d’intensité, les observateurs attendaient une énième réaction, notamment du magnat du transport maritime, John Fredriksen, actionnaire d’Euronav, de Frontline et d’International Seaways, à qui est prêtée la,  réputation de ne jamais rien lâcher. En lieu et place, Frontline, dont l’homme d’affaires est le premier actionnaire, annonce qu’il renonce à l’accord, scellé par un accord définitif en juillet. 

Rétropédalage

La compagnie d’origine norvégienne mais basée aux Bermudes l’a signifié dans deux avis parvenus le 9 janvier dans les rédactions à 23 h, heure française.

« Frontline a résilié l'accord conclu avec Euronav, ne fera pas d'offre d'échange conditionnelle volontaire pour toutes les actions Euronav en circulation, ne cherchera plus non plus à être cotée sur Euronext Brussels », indique le communiqué de l’entreprise.

« Nous regrettons de ne pas avoir pu réaliser la fusion telle qu'envisagée en juillet 2022, déplore pour sa part Lars H. Barstad, le PDG de Frontline, car cela aurait créé la plus grande compagnie maritime dans le transport de pétrole cotée en bourse, et de loin ». Avant d’ajouter : « Dans le même temps, les deux sociétés disposent indépendamment de très grandes flottes de pétroliers et de transporteurs de produits pétroliers, et bénéficient déjà d'économies d'échelle, comme en témoignent nos récents rapports financiers respectifs. » Un rétropédalage en bonne et due forme, les mêmes arguments exploités de façon réversible, tantôt pour justifier la pertinence de la fusion tantôt pour atténuer les conséquences de l’échec.

Demande de Frontline et non d’Euronav

La demande émane bien de Frontline, signifie indirectement l’ex-rival belge dans un communiqué de réaction. « Nous avons reçu cette lettre de résiliation. On se réserve tous les droits et actions à cet égard », indique la société dirigée par Hugo de Stoop, qui aura défendu ardemment pendant des mois le projet envers et contre son principal actionnaire, Alexandre Saverys.

Le président de la Compagnie maritime belge (CMB), société à l’origine de la création d’Euronav, aura en effet usé de toute son influence méthodique et intelligence tactique pour faire capoter le projet auquel il n’a jamais adhéré. Il avait tenté une première fois de le bloquer lors de l’assemblée générale annuelle d’Euronav du 19 mai sans y parvenir.

Depuis que l’homme d’affaires John Fredriksen s’est imposé au conseil d’administration d’Euronav en 2021les deux principaux actionnaires s’affrontent à coups de droits de vote. Or, contre toute attente, ce dernier, alors détenteur de 18,8 % des titres, a cédé un peu plus de 2 millions d'actions en décembre, ce qui a fait redescendre la participation à 17,8 %.

Une autre vision pour Euronav

Mi-décembre, quelques jours à peine après avoir acquis en deux temps suffisamment de titres pour mettre la main sur 25 % du capital d’Euronav et des droits de vote, Alexandre Saverys ne lâchait toujours pas la pression et, dans un courrier adressé au conseil d’administration, il avait demandé l'abandon pur et simple de la transaction.

Le poids acquis au sein du capital lui permettait de bloquer le processus dans la mesure où, en vertu de la loi belge sur les valeurs mobilières régissant la transaction, la fusion nécessite l’approbation de plus de 75 % des parties prenantes d'Euronav. Il aurait déboursé en tout autour de 620 M$ pour empêcher cette transaction.

Le dirigeant, issu d’une famille d’armateurs, craignait que la fusion ne provoque une concurrence fratricide sur un plan commercial, redoutait des problèmes de gouvernance et surtout n’était absolument pas convaincu par le gain de valeur (transaction sous la forme d’un échange d’actions sur le plan capitalistique). 

Mais surtout, il partage une autre vision pour le devenir d’Euronav qu’il souhaite inscrire dans des projets verts en phase avec sa filiale CMB Tech qui développe des navires basés sur une nouvelle génération de carburants non fossiles. En novembre, Euronav a annoncé son premier bénéfice net trimestriel depuis 2020, les taux de fret ayant été mis sur rail à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie après près de deux ans de purgatoire.

Brutalité des marchés

La fusion devait engendrer le plus grand groupe pétrolier coté en bourse au monde avec une valorisation de 4,2 Md$. Les marchés ont réagi avec brutalité à l’encontre de l’armateur belge de tankers. L’action d’Euronav sur Euronext Bruxelles avait perdu 18,57 % de sa valeur dans la journée du 10 janvier et un nombre considérable d’actions ont été vendus. A contrario celle de Frontline, cotée sur le New York Stock Exchange (Nyse) et à la bourse d'Oslo (Oslo Stock Exchange), a grimpé de plus de 20 % à New York.

La fusion avortée laisse en suspens de nombreuses interrogations. Hugo de Stoop, le patron d’Euronav appelé à prendre la tête du futur ensemble, peut-il se maintenir à la barre d’Euronav aux termes de ce dénouement qui met en échec le projet dont il était un des premiers garants. Comment les deux sociétés devenues si familières avec un partage d’informations stratégiques vont-elles se comporter une fois de retour sur le marché avec le statut de rivale qu’elles étaient avant de penser un avenir en commun ?

Adeline Descamps

 

 

 

 

Shipping

Marchés

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15