Envisagée depuis des décennies, annoncée, retardée, lancée en 2018 par CMA CGM avant d'être abandonnée, la liaison ro-ro entre Marseille et Tanger est assurée par La Méridionale depuis décembre 2020, à raison désormais de trois départs par semaine.
Dans le cadre de sa mission commerciale dans la ville marocaine du détroit de Gibraltar, l'association de promotion Via Marseille-Fos (VMF) a organisé une table ronde sur les services rouliers entre la Cité phocéenne et le Maroc. La discussion à bâtons rompus s'est focalisée sur ce fameux nouveau service plutôt que sur celui de l'autre armateur marseillais vers Casablanca.
Reposant sur un modèle combinant fret et passagers, la ligne tant attendue est mal née, en pleine pandémie, et n'a pu être opérée que cinq mois à pleine capacité depuis un an et demi. Entre développement durable, prix des carburants et pénurie de chauffeurs, et malgré les 15 millions d'euros qu'elle a fait perdre au groupe Stef en 2021, elle bénéficie d'un contexte favorable qui pourrait le devenir de plus en plus.
Pour Santiago Muelas, directeur général Maroc de Romship (groupe Romeu), agent de La Méridionale, "le service amène sécurité, fiabilité et écologie mais ne peut pas être moins cher que la route". Ni plus rapide et la différence avec le trajet quasi-tout routier, comprenant la courte traversée maritime de Tanger à Algésiras, est estimée à 12 heures (40 heures au total par la mer).
Des autoroutes ferroviaires pour transformer l'essai
S'il a toujours été incontestable, l'argument de l'avantage environnemental de la solution maritime a pris du poids ces dernières années. La compagnie et le port avancent le chiffre de 40 % d'émissions de CO2 en moins. Ainsi, personne n'a contredit Fatiha Jauréguy, cheffe du département commercial du Grand Port maritime de Marseille (GPMM), lorsqu’elle a évoqué "la nécessité de faire baisser les émissions de CO2 au nom du développement durable".
Pourtant, il ressort clairement des débats qu'il manque à Marseille-Fos une offre ferroviaire combinée vers le Nord de l’Europe pour faire basculer définitivement la balance en sa faveur. Olivier Alès, chef de ligne chez CMA CGM, assure que "la question de fond c'est comment le port de déchargement peut créer de la valeur. Les ports qui captent les remorques décrochées sont ceux qui proposent une connexion ferroviaire". Tandis que Michel Mattar, secrétaire général de TLF Méditerranée, rappelle avoir "apporté cette solution clé en main au port il y a vingt ans avec tous les gens qui faisaient du ro-ro", regrettant qu'elle soit "restée au point mort".
Dans le cadre de sa mission commerciale dans la ville marocaine du détroit de Gibraltar, l'association de promotion Via Marseille-Fos (VMF) a organisé une table ronde sur les services rouliers entre la Cité phocéenne et le Maroc. La discussion à bâtons rompus s'est focalisée sur ce fameux nouveau service plutôt que sur celui de l'autre armateur marseillais vers Casablanca.
Reposant sur un modèle combinant fret et passagers, la ligne tant attendue est mal née, en pleine pandémie, et n'a pu être opérée que cinq mois à pleine capacité depuis un an et demi. Entre développement durable, prix des carburants et pénurie de chauffeurs, et malgré les 15 millions d'euros qu'elle a fait perdre au groupe Stef en 2021, elle bénéficie d'un contexte favorable qui pourrait le devenir de plus en plus.
Pour Santiago Muelas, directeur général Maroc de Romship (groupe Romeu), agent de La Méridionale, "le service amène sécurité, fiabilité et écologie mais ne peut pas être moins cher que la route". Ni plus rapide et la différence avec le trajet quasi-tout routier, comprenant la courte traversée maritime de Tanger à Algésiras, est estimée à 12 heures (40 heures au total par la mer).
Des autoroutes ferroviaires pour transformer l'essai
S'il a toujours été incontestable, l'argument de l'avantage environnemental de la solution maritime a pris du poids ces dernières années. La compagnie et le port avancent le chiffre de 40 % d'émissions de CO2 en moins. Ainsi, personne n'a contredit Fatiha Jauréguy, cheffe du département commercial du Grand Port maritime de Marseille (GPMM), lorsqu’elle a évoqué "la nécessité de faire baisser les émissions de CO2 au nom du développement durable".
Pourtant, il ressort clairement des débats qu'il manque à Marseille-Fos une offre ferroviaire combinée vers le Nord de l’Europe pour faire basculer définitivement la balance en sa faveur. Olivier Alès, chef de ligne chez CMA CGM, assure que "la question de fond c'est comment le port de déchargement peut créer de la valeur. Les ports qui captent les remorques décrochées sont ceux qui proposent une connexion ferroviaire". Tandis que Michel Mattar, secrétaire général de TLF Méditerranée, rappelle avoir "apporté cette solution clé en main au port il y a vingt ans avec tous les gens qui faisaient du ro-ro", regrettant qu'elle soit "restée au point mort".
"Les ports qui captent les remorques décrochées sont ceux qui proposent une connexion ferroviaire"
Les esprits semblent mûrs aujourd'hui, puisque Fatiha Jauréguy confirme en être "au stade de l'appel d'offres", promettant "un service de type Lohr ou CargoBeamer" avec comme visée pour Marseille de "devenir un hub roulier avec le Maghreb et la Turquie, comme ce que fait DFDS à Sète". Le président de VMF et du Syndicat des transitaires (STM) Stéphane Salvetat fait remarquer qu'en plus de sa pertinence opérationnelle, la combinaison "connexion ferroviaire et conteneur 45 pieds "palletwide" est aussi un palliatif à la pénurie de conducteurs", qui sévit des deux côtés de la Méditerranée.
Ce dernier phénomène, attribué aussi bien à une crise des vocations qu'à la rareté des visas attribués aux conducteurs marocains –du fait des restrictions françaises ou des difficultés administratives dans le royaume chérifien –, vient accentuer les difficultés du routier et l'intérêt de la desserte maritime. Selon Nabgha Salem, fondateur et président de Vectorys, "il manque 200.000 chauffeurs en Europe". Or, le service de La Méridionale emporte aussi bien des ensembles avec chauffeurs que des remorques "décrochées", avec une préférence pour ces dernières.
Le prix reste important mais moins
Les esprits évoluent mais la route reste compétitive et les considérations environnementales et sociétales ne l'emportent pas encore à tous les coups. Un brin provocateur, Idriss Bernoussi, président d'AMTRI-Maroc (Association marocaine des transports routiers intercontinentaux), assure que "le prix reste primordial dans la tête du Marocain". Et de réclamer à La Méridionale une baisse des tarifs qui lui permettrait de développer son activité, "maintenant que (son) fond de cale est constitué". S'il affirme croire à ce projet et soutenir Marseille, il pointe les "efforts restant à faire". Il fait remarquer que "le prix de la traction augmente" et que "l'administration Macron limite le nombre de visas à 30 % par rapport à une année marquée par le Covid-19".
Les crises récentes ou actuelles ont toutefois relativisé cet argument économique autrefois imparable en faveur de la route. La flambée des prix du pétrole et de l'énergie de manière générale est un allié de la voie maritime, surtout si les tarifs élevés deviennent la norme.
Choix de société versus choix économiques ?
Le choix de la continuation du tout routier ou du report modal s'apparente de plus en plus à une opposition de cultures, voire de choix de société. Nabgha Salem affirme : "En tant que transporteur français, notre modèle c'est le maritime alors que pour les Espagnols, c'est le routier". Une vision bien aidée par la réglementation d'exception nationale, qui en fait le seul pays de l'Union européenne permettant la circulation des poids lourds les week ends et jours fériés.
Selon Santiago Muelas, une hausse des tarifs de péages est à prévoir en Espagne tandis que la liberté de passage les jours fériés paraît de plus en plus intenable, "d'autant qu'il n'est pas nécessaire que toute l'Espagne interdise la circulation. Le pays est composé de 17 communautés autonomes, il peut suffire qu'une seule le fasse ".
Pour Rachid Tahri, le président du syndicat des transitaires marocains (Association des Freight Forwarders du Maroc), "le transport routier sera à terme limité à 300 km, qu'on le veuille ou non. On reviendra aux autoroutes de la mer". Il voit aussi "la fin de l'image virile du routier, ce n'est plus un métier qui attire les jeunes".
Les intervenants ont pointé certains paradoxes. Karim Mehidi, directeur commercial Maroc de Gefco, confirme que "dans les appels d'offres, le vert est de plus en plus demandé". Pourtant, d'après un représentant de Dachser, "les clients parlent de "green" mais veulent être en France en 36 heures".
De même, certains veulent croire que la course au moins-disant social est désormais de l'histoire ancienne mais cela ne semble pas aussi net. "C'est encore le prix, toujours le prix, déplore un commissionnaire de transport international. Aujourd'hui ce sont des chauffeurs marocains, hier ceux de l'Est et demain ? Les Sénégalais car ils sont encore moins chers ? On récolte ce qu'on a semé".
Des modèles logistiques en mutation
Toujours est-il que de profonds bouleversements semblent être à l'œuvre, notamment issus des crises et blocages successifs, et dont les conséquences sont incertaines. Les exigences climatiques et sociales, les nouveaux usages et les évolutions technologiques incitent chacun à tirer ses propres enseignements des événements. Un intervenant souligne ainsi le désir des conducteurs de pouvoir rentrer chez eux plus souvent : "Les solutions à deux ou trois chauffeurs, c'est fini." Un autre avance que "les jeunes aujourd'hui tiennent à leur vie privée et ne veulent plus être appelés le samedi ou le dimanche" et que, d'autre part, "le client se soucie du sort du chauffeur".
Les coups de semonce répétés semblent infléchir les modèles logistiques qui prévalaient jusqu’ici. Ce transporteur turc utilisateur des trois ro-pax hebdomadaires de La Méridionale l'affirme, "Algésiras n'est pas une solution, notamment à cause de la pénurie de chauffeurs". Il voit également les équilibres évoluer, avec la perte d'hégémonie de la Chine en tant qu'usine du monde : "À court terme, la logistique va se déplacer vers le Maghreb et le multimodal est la solution". "Les notions de carbone et de taxes vont aussi changer les choses, estime Rachid Tahri. Le Covid nous a appris qu'il ne faut pas aller chercher son alimentation à l'autre bout du monde. Les denrées alimentaires sont arrivées sans parler de juste à temps."
Avec le prix, les délais sont un facteur crucial pour le transporteur et son chargeur. En maritime plus qu'en routier, les deux sont intimement liés et à la fois antinomiques. "Vous parlez de prix, nous parlons de coûts, réplique ainsi Benoît Dehaye, directeur général de La Méridionale. Un bateau qui file à 18-20 nœuds représente un coût exorbitant, vu la masse d'eau déplacée par coup d'hélice. Naviguer à 12 nœuds coûte beaucoup moins cher". Lui aussi pense que la question ne se posera bientôt plus : "Nous avons devant nous des règles internationales. D'ici 2030, les armateurs devront réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 40 %. Même le détroit sera soumis à cette obligation".
Nabgha Salem minimise à son tour le désavantage de la voie maritime sur la route : "Les produits concernés par les échanges entre les deux rives de la Méditerranée nécessitent souvent des transit times courts, que ce soient des périssables ou des pièces automobiles, mais le modèle de flux tendu est remis en cause dans ce dernier secteur".
Aide-toi et l'État t'aidera
Quand on évoque les pistes de gain de temps, tous les regards se tournent vers les contrôles à l'importation. L'ensemble des participants déplore le manque de disponibilité du service phytosanitaire marseillais et ses horaires inadaptés au traitement de ce trafic particulier. Pour autant, beaucoup apparaissent optimistes quant à la capacité de l'État à se mobiliser – malgré sa rigidité administrative et son manque de moyens – dès lors que les acteurs démontrent l'existence d'un marché conséquent et d'un besoin.
Les représentants de La Méridionale louent ainsi la réactivité démontrée par le préfet de région pour modifier les horaires d’ouverture du PIF-PEC de Fos. Un changement qui doit se manifester concrètement sous peu et devrait s'accompagner d'un élargissement des horaires de la part des manutentionnaires. Stéphane Dalia, commissionnaire de transport marseillais en fruits et légumes, affiche aussi sa confiance dans la volonté politique "si les volumes viennent à augmenter" et souligne que les formalités peuvent être effectuées à l'avance pour tous les produits soumis au seul contrôle documentaire, sans visite physique.
Olof Gylden, directeur commercial des lignes internationales de la compagnie marseillaise évoque un autre frein : "Le GPMM ne veut pas laisser les chauffeurs passer la nuit sur le port", ce à quoi Stéphane Salvetat répond : "Si on veut être un port roulier, il le faut". Dans l'ensemble, les professionnels semblent avoir intégré désormais qu'ils doivent faire leurs preuves avant d'obtenir des actions de la part des pouvoirs publics. Benoît Dehaye souligne ainsi le "besoin d'amorcer la pompe" d'un marché qui "n'existait pas" il y a peu. "Je suis certain que les volumes venant, les services suivront. Le préfet a pris les choses très sérieusement. Cette alternative a du poids, du sens et on a des institutions qui le prennent en compte si on pousse", assure-t-il.
Alain Hazarosoff, directeur Food & Reefer Europe chez Bolloré Logistics en atteste, prenant l'exemple d'un service Antilles autrefois miné par un décalage entre l'horaire d'arrivée de l'avion et les plages de disponibilité de l'administration : "Quand le trafic est là, l'État réagit". De son côté, le représentant des transitaires marocains tempère les tentations auto-flagellatrices de ses homologues marseillais : "Nous avons aussi des restrictions à l'import à Tanger Med, à l'aéroport également. Les barrières non tarifaires sont partout, même à Algésiras".
Une chance à saisir
Engager d'abord des volumes pour pouvoir gagner en retour du temps et de l'argent : l'équation a toujours été la même, rendant précaire l'équilibre d'un tel service. Mais cette fois, les conditions semblent réunies. Idriss Bernoussi reconnaît ainsi que "l'occasion fait larron, les tractionnaires commencent à arriver, attirés par ce nouveau trafic".
La réalité pas si idyllique à Algésiras, que l'on dit proche de la saturation et sans possibilité d'extension, en plus des tendances déjà évoquées, dessinent une occasion unique de pérenniser la ligne ro-ro vers Tanger Med et, pour Marseille-Fos, de s'affirmer sur un nouveau marché. Si le service de La Méridionale n'a pas à subir les effets de nouvelles restrictions de voyageurs, elle franchira cette nouvelle "année de transition", promet Benoît Dehaye. Pour le reste, Stéphane Salvetat résume l'état d'esprit de la place marseillaise : "On a raté le tournant du ro-ro turc, il ne faut pas manquer celui de Tanger".