Rodolphe Saadé, Rencontres économiques d'Aix-en-Provence : « Nos choix de société auront un coût et la facture sera salée »

Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM

Crédit photo Les Rencontres Eco / Nicolas Cousew / Hans Lucas
Parmi les 360 intervenants annoncés aux Rencontres économiques d'Aix-en-Provence, rendez-vous couru par les grands patrons, Rodolphe Saadé, le PDG du groupe CMA CGM, est intervenu en plénière le samedi 8 juillet sur une thématique où il n'était pas attendu. Aux côtés des dirigeants de Nexity et de La Poste, et d'Édouard Philippe, ancien Premier ministre.  

En voisin marseillais, Rodolphe Saadé ne manque jamais les Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, quand il y est convié.

À ce rendez-vous initié par le Cercle des économistes en 2001, au cours desquels se débattent les grands enjeux économiques, politiques et sociaux, les plus grands patrons et dirigeants politiques de la planète s’y dépêchent comme un dernier tour de ronde avant l’effacement estival. La plupart des patrons du CAC 40 sont des inconditionnels, les dirigeants des grandes banques centrales, des familiers et les hommes politiques, de grands amateurs avec ou sans ministère.

Cette année, le président du groupe CMA CGM, élevé au rang de grand capitaine d'industrie, y a plus que jamais sa place, la notoriété rendue proéminente par le succès flamboyant de son entreprise, ses acquisitions opérées à pas cadencés et ses intérêts pour l’univers des médias.

Au menu de cette 23e édition du 7 au 9 juillet, où devaient s’exprimer 360 personnalités capées et où sont attendus 6 000 participants, 66 tables-rondes et controverses.

À la lecture du programme, le dirigeant du troisième armateur mondial de porte-conteneurs était plutôt attendu sur la session relative à la « géopolitique des blocs » (guerre, embargo et protectionnisme commercial ont un impact instantanée sur le transport maritime), ou à celle sur « s’emparer de la transition écologique » (son groupe l’a plutôt fait en investissant, il y a des années, dans une flotte au GNL, carburant de transition certes mais avec un effet immédiat sur la réduction des émissions carbone) ou à celle de « l’énergie, l’heure des choix » (il a fait les siens récemment en arbitrant en faveur du carburant résolument vert qu’est le méthanol avec la commande de 24 premiers navires) voire à celle de « financer à tout prix la transition écologique » (le passage au carbone zéro de la flotte mondiale de navires va coûter 2 400 Md$, selon les experts).

Pas là où était attendu

De façon inattendue, il est intervenu au cours de la session plénière du début de l'après-midi du samedi 8 juillet pour répondre à la question : « Quel choix de société ? », notamment aux côtés de Véronique Bédague, PDG de Nexity, Philippe Wahl, PDG de La Poste, et Édouard Philippe, ancien Premier ministre et maire d’une autre grande ville portuaire.

« C’est la session qui correspond le plus à l’intitulé de nos deux jours et demi de débats, Récréer l’espoir », introduit Hervé René Lorenzi, le grand chef d’orchestre de ce rendez-vous à succès qui se clôture chaque année pour un manifeste de résolutions censé engagé les parties prenantes. Cette année, il portera sur les conditions d’un renouveau économique, social et politique.

Des aspirations en rupture

« On ne peut pas vouloir récréer l’espoir sans avoir une vision claire des choix de société que nous voulons, poursuit le président du Cercle des économistes. Pour les personnes de sa génération, ajoute-t-il, le choix de société s'est longtemps résumé à se positionner entre une société dite capitaliste ou dite socialiste.

Depuis, le monde a été traversé par des crises économiques et financières, une mondialisation à outrance et une expansion sans limite de la finance... jusqu’à ce que la fracture Covid modifie profondément « nos comportements de société et notre façon de considérer notre consommation, notre travail… »

 Quel choix de société ?

« Quel choix de société voulons-nous ? Pour être honnête, je n’ai pas de réponse claire, nette et précise », répond Rodolphe Saadé. « On vit dans un monde où il y a des crises un peu partout et un peu tout le temps. Il n’est pas évident de s’adapter à ces tensions permanentes avec en plus, des transformations liées à l’intelligence artificielle et à la digitalisation ».

Il a cependant une certitude : ils ne peuvent pas s’imposer, ni aux pays, ni aux « collaborateurs » des entreprises et encore moins aux jeunes. « Je vois quelques jeunes dans la salle. Il va falloir que l’on vous entende sur la société que vous voulez demain pour ne pas arriver avec une solution toute faite que vous allez critiquer ».

A-t-on encore le choix ?

Une question lui est posée mais en guise de réponses, il ne fera que questionner son auditoire. « A-t-on encore le choix de la société dans laquelle on veut vivre », interroge-t-il faussement. « Sur certaines problématiques comme l’environnement, on ne l’a plus. On est tous convaincus qu’il faut enclencher pour décarboner nos différents métiers et également la société ».

Il salue à ce propos l’issue heureuse (car c’était loin d’être acquis) d’une semaine de négociations à l’OMI où il s'agissait d'arbitrer, schématiquement, entre ne rien décider (rester à l’objectif fixé en 2018 de réduire de moitié par rapport à la base de référence de 2008 les émissions carbone générées par le transport maritime) ou sévériser (fixer le zéro carbone pour toute la flotte mondiale).

La revoyure a été actée avec des objectifs crantés à 2030 (réduction par rapport à 2008 d'au moins 20 %, si possible 30 %, des émissions de gaz à effet de serre et norme de 5/10 % de carburants verts dans les soutes) et 2040 (- 70 %, si possible 80 %).

Mais dans cette enceinte de 175 États membres, composée en partie des pays exportateurs de pétrole, certains des objectifs non contraignants, à respecter que lorsque « les circonstances nationales le permettent », peuvent s’assimiler à un laisser-faire.

Mondialisation à revoir

Sur le plan économique, « on voit que le monde a aussi changé et que la mondialisation, telle que l’on a connue, est déjà un peu passée. On voit les trafics régionaux se développer. On ne peut plus consommer comme avant », poursuit le dirigeant qui n’en est pas à sa première déclaration sur ce sujet.

Le patron du groupe marseillais, qui vit pourtant des tonnes-milles, est atteint du syndrome du kiwi de Nouvelle Zélande. Une aberration carbone, rappelle-t-il, non sans humour. « Vous participez ainsi à la bonne tenue des résultats financiers du groupe CMA CGM qui va très bien, je vous remercie, mais ce n’est pas bon pour la société et encore moins pour la planète ».

Recomposition des échanges internationaux

Rodolphe Saadé, qui a déjà eu l’occasion d’exprimer sa conviction d’une mondialisation éculée, croit à une recomposition des échanges internationaux avec une diversification du sourcing et le développement des trafics intra-régionaux. Pas de nature à remette en cause la Chine en tant qu’usine inégalable du monde et qui fait que les navires parcourent des milles et des milles, mais avec des mouvements à la marge qui s’observent déjà quand le prix n’est pas le premier critère.

Des déplacements de flux s’observent en effet, notamment en Asie du Sud-Est, où le Vietnam et la Thaïlande deviennent des centres de production pour les chargeurs américains. Sans renoncer à la Chine, les importateurs essaient de trouver des zones de production qui n’en dépendent pas exclusivement. La Turquie et le Maghreb en profitent déjà.

Nouveaux modèles de supply chain

Dans une vidéo postée à l’adresse de ses clients, en avril 2020, alors en pleine crise sanitaire, le PDG du groupe CMA CGM avait fait part d'une autre perpesctive, celle de la société qui sortirait de l’épidémie.

« Cette crise sans précédent modifiera sans doute nos habitudes de consommation et notre façon de travailler. Elle nous amènera à réfléchir à de nouveaux modèles de la supply chain. Compte tenu de la dépendance actuelle à la mondialisation, les chaînes logistiques devront être repensées dans un mode plus résilient. Elles devront être en mesure de s’adapter plus rapidement à des changements de consommation brutaux ».

Un choix coûteux

« Ne pensez pas que cela nous coûtera rien de choisir, reprend-il aujourd'hui. La facture environnementale sera salée. Et on ne peut pas tout attendre des politiques. Il faut qu’à un moment donné, en tant que citoyen et en tant qu’entreprise, on prenne les sujets de la planète à bras le corps. Je ne suis pas partisan du laisser-faire les autres et je préfère essayer ».

Dans d’autres espaces publics, il avait aussi confié que la crise sanitaire l’avait conforté dans ses choix d’un transport plus respectueux de l’environnement sans que l’on sache si cette voie permettra aussi de dépasser toutes les contradictions de la mondialisation.

Adeline Descamps

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