Bourbon avance sur son programme de marin augmenté et navire connecté

Avec la digitalisation, les officiers de quart sont capables d’identifier immédiatement des conditions opérationnelles qui se dégradent

Crédit photo ©Bourbon
La compagnie maritime a l'un des projets de navire connecté le plus abouti à ce jour. Les données remontées du navire ont permis de développer des outils qui permettent à la fois de faciliter le travail du marin à bord et de réduire l'empreinte carbone. Une douzaine de navires sont à ce jour équipés.

Comme nombre d’entreprises engagées dans la réduction de leur empreinte carbone, Bourbon a fixé la sienne avec conviction mais pragmatisme. La compagnie, qui intervient en support aux plateformes offshore, a deux grandes problématiques à gérer. Son activité en mer la rend doublement responsable, à la fois à l’égard des océans, dont le rôle primordial dans les équilibres climatiques a été largement documenté, et envers les marins qui opèrent dans un environnement à risque élevé. Elle a aussi une contradiction apparente à résoudre auprès de ses différents interlocuteurs, financiers ou institutionnels.

Si sa diversification sur le marché des énergies renouvelables est engagée et lisible (Bourbon Wind) avec pour objectif d’atteindre la moitié de son chiffre d'affaires avec l’éolien offshore d'ici 2035 (contre 10 % aujourd’hui), l'industrie pétrolière et gazière, que les ONG jettent sous les projecteurs pour en dénoncer ses méfaits sur le climat, reste son cœur de marché. La logistique support apportée à toutes les étapes d’un champ pétrolier représente 58 % de son chiffre d’affaires (660 M€ en 2022) et ses deux autres divisions – transport de personnels et services sous-marins clés en main –, peuvent servir aussi bien des projets pétroliers, gaziers qu’éoliens.

L’entreprise gère cette ambiguïté, indique-t-elle, en se servant de ses activités historiques pour financer son développement dans l’éolien en mer. .

« Nous avons bien conscience que nos clients sont souvent mal considérés alors qu’en réalité, les majors européennes ont un chemin de transition et une stratégie climat assez clairement tracés. Pour ce qui nous concerne, nous considérons qu'elles nous challengent à leur apporter des solutions de décarbonation, en tout cas sur notre périmètre ». C'est ainsi que Christel Loisel, à la tête de la RSE appréhende l’équation.

90 % de sa flotte en diesel-électrique

Comme toute compagnie maritime, la première source d'émissions de gaz à effet de serre reste la combustion des moteurs. Pour Bourbon, la consommation de carburants représente 90 % de son bilan carbone. Or, sa flotte (120 OSV, offshore support vessels) carbure déjà à 90 % au diesel-électrique depuis dix ans. Ainsi, « seuls » 4,4 % de ses émissions directes (scope 1) sont en lien avec ses navires. En revanche, 94 % de son bilan carbone relève des émissions indirectes (sope 3), celles dues à ses navires affrétés.

Avec sa flotte alimentée au diesel électrique, elle a donc déjà bien opéré là où elle a prise. « C’est en effet un point de départ vertueux, convient Cyrille Le Bris, Chief Disruption Officer. Depuis fin 2012, nous avons développé une politique de bonne gestion des consommations de combustibles. Notre flotte consomme de 25 à 30 % de moins par rapport à une flotte à propulsion classique ».

Pour obtenir des gains supplémentaires, sachant qu’aucune technologie (méthanol, ammoniac, hydrogène) n’est mature à ce jour – encore moins la structure d’avitaillement qui lui sera associé, un vrai point d’attention pour Bourbon compte tenu de la nature de ses opérations –, l’entreprise mise sur un mix de solutions pour atteindre son premier objectif à 2035 : réduire de 25 % supplémentaire son empreinte carbone. « C’est l’horizon que l’on se donne car on considère qu’à cette date, certaines technologies seront prêtes et alors on pourra se lancer dans un programme de constructions neuves ».

Marin augmenté et navire connecté

L'empreinte environnementale n'est pas le seul objectif visé par son programme de smart navire. Mais il y contribue.

La compagnie, fondée à Marseille, a sans doute à ce jour le projet le plus abouti en matière de navire dit intelligent, patché comme une coccinelle par un ensemble de capteurs qui font remonter quantité de données, et de marin augmenté par des d’outils d’aide à la décision.

C’est l’objet d’un programme, baptisé Cassiopée (acronyme de Collecte et Analyse de Données pour la Sécurité des Opérations, la Performance et l’Efficience Énergétique), dans lequel les équipes se sont embarquées pour quatre ans (jusqu’en 2025) avec quatre autres entités françaises : Predict (technologies prédictives), Opesalog (analyse des données liées à la performance des opérations maritimes), l’université Aix-Marseille (unité de recherche spécialisée dans la science des données) et Bureau Veritas. D-ICE, autre entreprise française spécialisée dans les systèmes de navigations avancés, a répondu pour sa part sur le développement de certaines applications.

Lever les verrous technologiques liés à l'accès à la donnée

« Ce programme s'appuie sur la digitalisation pour, d'un côté, développer des nouveaux outils qui tendent à faciliter le travail du marin à bord et améliorer sa sécurité. L’autre objectif, c’est l’empreinte carbone, par l’amélioration des pratiques opérationnelles », résume Cyrille Le Bris.

« Il a d’abord fallu construire une solution d’acquisition et de la transmission en temps réel de la donnée qui soit fiable techniquement, compte tenu de la masse à collecter et des objectifs de cybersécurité que nous étions fixés », ajoute Francois Rivière, chef de projet du navire connecté.

« L’analyse de ces données nous a ensuite permis de développer des applications d’aide à la décision en temps réel, soit par exemple pour du soutien aux marins et aux personnels à terre ou pour améliorer la maintenance de nos installations. Le suivi de la donnée permet d’allonger la durée de vie voire d'éviter la consommation de matériels et même d'équipements entiers, qui auraient été nécessaires », reprend le Cyrille Le Bris.

Douze navires connectés

Aujourd'hui, une douzaine de navires sont connectés, pour lesquels trois applications sont pleinement opérationnelles. Le déploiement en cours sur une flotte cible devrait permettre d'atteindre les vingt unités équipées en 2024.

Avec ces applications, les équipes à bord peuvent déjà gérer les besoins spécifiques aux navires en escales, mieux exécuter des opérations en Dynamic Positioning dont les risques (collision avec une plateforme pétrolière, perte d’étanchéité lors d’un transfert de fioul... ), exigent, conformément aux standards très élevés de l’industrie pétrolière, de vérifier les 60 paramètres de l’ASOG (activity specific operating guidelines), document qui définit strictement les opérations.

« La digitalisation de ce document permet aux officiers de quart d’identifier immédiatement des conditions opérationnelles qui se dégradent et n’ayant plus à interpréter des signaux, ils peuvent se focaliser sur les procédures de dégagement », précise le CDO.

Maintenance prédictive

Enfin, grâce à la maintenance prédictive, ils sont en mesure de détecter des signaux faibles sur les matériels.

Bourbon s’est associé à Predict en 2021 en vue de développer la première solution de maintenance prédictive adaptée aux OSV.

Dans un deuxième temps, le transfert à terre des données doit permettre d’alimenter un jumeau numérique pour le suivi continu de l’état de santé du navire et de sa capacité opérationnelle, optimisant ainsi les coûts d’exploitation. Sur ce plan, l’entreprise travaille avec le Laboratoire du LIS de l’Université d’Aix- Marseille. Un premier pilote devrait être disponible courant 2024 et le jumeau numérique opérationnel en 2025.

Pour quels gains ?

Évaluer les gains relevant de la bonne analyse de la donnée et de la digitalisation d'un certain nombre d'opérations n'est pas vraiment à portée.
« On sait mesurer les bénéfices d'une amélioration de la consommation des navires. C'est moins tangible pour les applications digitales, chacune apportant une contribution à l'édifice. Avec la maintenance prédictive, on participe à une réduction du bilan carbone d'ensemble. On peut l'estimer mais pas vraiment la mesurer », reconnait Cyrille Le Bris.

Adeline Descamps

NDLR : Bourbon fait partie des six candidats au trophée de la charte bleue organisé par Armateurs de France. Le lauréat sera désigné ce mardi 29 novembre, à l'occasion des Assises de l'Economie de la mer.

 

Un bilan carbone principalement lié aux émission indirectes

Bourbon a adopté en 2021 la méthodologie de calcul des émissions de gaz à effet de serre basée sur le découpage en scope 1, 2 et 3 élaboré par le GHG protocol (Green House Gas Protocol), l’outil comptable international le plus largement utilisé pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre. Il a émis 791 323 t éq. CO2 en 2022.

Émissions directes Energie (scope 1) : 5,9 % dont :
- 4,4 % (34 627 t éq. CO2) : combustion des navires (hors période d’affrètement clients)
- 1,4 % (11 386 t éq. CO2) : émissions dites fugitives (climatisation)
- 0,02 % (204 t éq. CO2 : sources fixes de combustion (groupes électrogènes)

Émissions indirectes Energie (scope 2) : 0,1 % (114 t éq. CO2)
Émissions liées à la consommation d’électricité des bureaux et bases

Autres émissions indirectes (scope 3) : 94 % dont :
- 83 % (658 876 t éq. CO2) : leasing aval (émissions des navires affrétés par nos clients
- 8,5 % (62 784 t éq. CO2) : achat de produits et services (émissions issues de la production de biens achetés
- 1,5 % (11 463 t éq. CO2) : déplacements professionnels (transfert des marins vers leur navire et des managers en déplacement)
- 1 % (8 051 t éq. CO2) : production amont de l’énergie des scopes 1 et 2 (émissions issues de la production de carburant et d’énergie)
- 0,2 % (1 531 t éq. CO2) : transport de marchandises en amont (modes aérien/maritime/routier de produits achetés)
- 0,1 % (1 205 t éq. CO2) : déchets générés par les navires en opération
- 0,1 % (1 083 t éq. CO2) : mobilité des employés domicile-travail

 

 

 

Shipping

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15