[Enquête Propulsion vélique 2/3] Marfret, CMN : Retour sur expériences véliques

Le Marfret Niolon

Pour équiper un des navires de sa flotte, le Marfret Niolon, l’armateur marseillais a opté il y a plus d’un an pour les ailes rigides Ventifoils développées par le néerlandais Econowind.

Crédit photo ©Marfret
En rétrofit, l’évidence vélique ne coule pas toujours de source. La décarbonation de la flotte existante est une problématique à part entière et elle ne se pose pas uniquement quand il s’agit d’embarquer des mâts et des voiles. En témoignent Marfret et la Compagnie maritime nantaise.

« L'efficacité d’un dispositif vélique sera toujours meilleure sur un navire neuf parce que le profil du navire aura été étudié pour cet usage. Pour la flotte existante, c'est plus compliqué. Les avantages sont moindres par rapport aux objectifs recherchés de décarbonation », tranche Nelly Grassin, responsable Environnement chez Armateurs de France.

La décarbonation de la flotte existante est une problématique à part entière et elle se pose pour toutes les technologies de rupture actuellement envisagées tant et si bien qu’une grande part du bataillon devra se contenter de... ralentir, étant non éligibles à la transformation de structure.

Deux prospectives, réalisées l’une pour la Commission européenne et l’autre pour le ministère des Transports du Royaume-Uni, soutiennent néanmoins que jusqu’à 10 000 navires marchands pourraient être équipés de voiles d’ici 2030 et jusqu’à 45 % de la flotte mondiale d’ici 2050.

Entre tradition et modernité ?

Faudra-t-il désormais faire des distinctions de classe entre les armateurs dits « conventionnels » comme ils sont désignés par rapport aux « néo-armateurs », – les Grain de Sail, Towt, Neoline, Beyond the Sea, Vela, Windcoop, Wisamo, Zéphyr & Borée, et consorts –, en référence à cette nouvelle génération de capitaines d'industrie qui ont versé dans l’entrepreneuriat à la faveur de leur conviction vélique.

« Effectivement, je fais plutôt partie des armateurs traditionnels, voire conventionnels, puisque si on remonte le cours historique de la société, on retrouve des traces de la CMN en 1886 », s’amuse Jérôme Navarro, à la barre de la Compagnie maritime nantaise, filiale du groupe Sogestran spécialisée dans les transports industriels et spécialisés.

Une solution parmi d'autres

Pour l'armateur, si ce n’est militant du moins engagé, « le sujet n’est pas tant propulsion vélique que la décarbonation. Le vent est une option parmi d’autres technologies pour lesquelles on exerce une veille », explique le dirigeant, dont le groupe a en effet fait part d’expériences autres, avec les biocarburants et l’hydrogène notamment.

Le groupe havrais, qui réinvestit 20 à 30 % de son chiffre d’affaires en R&D chaque année et fut un actionnaire de Neoline avant de se retirer pour pallier ses propres difficultés, a donné toutes ses chances à la Wisamo de Michelin.

L’aile, développée en interne par l’unité innovation de Michelin, se gonfle à l’air à basse pression, est orientable à 360° avec un mât télescopique haut de 17 m qui se rétracte dans un compartiment de rangement capotable.

Le système s’intègre plug and play sur des navires existants. La structure de l’aile est faite de l’étoffe du Bibendum, les MHT dans le jargon maison, ces tissus enduits souples qui appartiennent au patrimoine industriel du fabricant européen de pneumatiques. Résistant à l’abrasion, ils sont cousus selon une technique spécifique, intégrant la compréhension des modes de ruine. Par rapport aux rotors, la Wisamo oppose deux faits : son faible poids et l’absence de prise au vent.

À pas comptés

La CMN avance toutefois prudemment, ayant opté pour un petit gabarit de 100 m² embarqué à bord du Pelican, un ro-ro (affrété auprès de la Brittany Ferries) qui opère la ligne Pool-Bilbao deux fois par semaine. « Quand on m’a proposé de la tester, la condition était que je puisse la rendre cassée, voire la casser plusieurs fois, de façon à pouvoir l'éprouver dans des conditions opérationnelles réelles et disposer de tous les éléments qui me permettront, en temps voulu, de faire les choix d’investissements. Vu la masse critique de capitaux à engager, il vaut mieux le faire de façon éclairée »

Pour le dirigeant, c’est un choix rassurant car « il ne faut pas perdre de vue que l’on reste sur un navire en exploitation et un besoin client. Le service doit être assuré quand bien même on veut diminuer nos impacts sur notre environnement ».

Jeu de réglages instables

L’évidence vélique ne coule donc pas de source. Il ne faudrait pas classer trop vite les hésitations et les tâtonnements des « armateurs conventionnels » en attentisme environnemental. « Quand vous analysez l’horlogerie d’une ligne, vous vous apercevez que le spectre des technologies éligibles peut se réduire considérablement. La conception d’un navire est le résultat d’un compromis entre plusieurs paramètres dont l’équilibre est parfois instable », défend Jérôme Navarro.

En retrofit, la loi des conjugaisons et le jeu des réglages peuvent être incertains. Le Pelican a été conçu à l’origine pour transporter des rouleaux de papiers dans les pays nordiques. Il s’agit donc d’un navire plutôt lourd, équipé classe glace et pensé pour naviguer à 18 nœuds. « Il a un équilibre carène, longueur, propulsion, puissance, hélice, etc., qui lui est spécifique. Ajouter une aile peut avoir un impact fort, y compris en termes de coût armateur car cela peut vouloir induire de changer le bulbe et ce faisant d’hélice, etc. ».

Présence du moteur à bord, toujours sécurisante

La présence de voiles à bord doit s'apprivoiser pour être acceptée en termes de stabilité et de visibilité alors qu'il a fallu des années pour libérer le pont. « D’où un besoin de solutions intelligentes dans leur emplacement, leur manœuvrabilité et leur capacité à se replier et à se déplier », confirme Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur de l'économie maritime (Isemar), qui animait un atelier dans le cadre du Wind for Goods, le rendez-vous de la filière qui s’est tenu à Saint-Nazaire début juin.

Chez Marfret, la route vers l’assistance propulsive à la voile a également démarré. Il ne s’agit pas là non plus de motorisation principale. La présence du roi moteur reste sécurisante. Pour équiper un des navires de sa flotte, le Marfret Niolon, l’armateur marseillais a opté il y a plus d’un an pour les ailes rigides Ventifoils développées par le néerlandais Econowind.

Le navire polyvalent (MP) de 120 m de long, qui transporte du breakbulk et du roulier (capacité de 1 900 mètres linéaires, équivalent 89 remorques et 70 EVP en pontée), est exploité depuis fin 2020 sur une ligne transatlantique entre Anvers, Le Havre, la Guyane et les Antilles françaises. « Une ligne à tout faire, qui a trouvé son marché pour compléter les lignes conteneurs transatlantiques et les lignes ro-ro entre les différentes îles des Antilles »,avait alors indiqué au JMM Guillaume Vidil, troisième génération à la tête de l’entreprise familiale. Sa personnalité et sa relative jeunesse par rapport à ceux qui l'ont précédé ne sont sans doute pas étrangères à ce passage à l’acte vélique.

Des ailes rétractables dans des conteneurs

Le choix du Niolon est néanmoins surprenant car le navire répond sans cela aux normes réglementaires IMO 2023. « Il offrait la modularité nécessaire pour faire des tests avec ses trois ponts, son itinéraire qui permet de profiter des alizés sur une bonne partie de la route, sa desserte sachant qu'il n’y pas, outre-Mer, d'infrastructures pour des carburants comme le GNL et les biocarburants, et ses conditions d’exploitation, affranchie des contraintes de la ligne régulière », explique Martial Bienvenu, responsable d'agence pour l’armateur marseillais.

Les ailes rétractables dans un conteneur de 40 pieds, qui trouvent ainsi facilement une place en pontée sans empiéter sur l’espace utile aux marchandises, a séduit l’entreprise. La maintenance a été également un bon point. La conteneurisation permet de renvoyer l’unité à l’usine rapidement.

Entre l’analyse et le laboratoire

« Avec deux ailes rigides par conteneur d’une surface de 19 m2, le Marfret Niolon offre une réduction de carburant de 10 à 15 %. Du moins sur le trajet vers la Guyane, puis pour la remontée vers les Antilles. Sur la route depuis les Antilles vers l’Europe, les vents ne sont pas aussi favorables à la navigation sous voile, le trajet retour se fait donc exclusivement au moteur », poursuit Martial Bienvenu.

Pour cette nouvelle aventure, la société a fait appel à la start-up Syroco, également phocéenne, pour se faire accompagner sur le « sailing ».

« Il s’agit moins de routing que d’aides à la navigation. Nous en sommes encore à la collecte d’informations. Des anémomètres et des débitmètres ont été installés pour avoir l’information au plus vite, au plus juste et au plus près. Nous allons analyser l’intégralité de la donnée en vue de voir a posteriori comment on aurait pu naviguer, mieux avec le vent, afin de tirer de cette assistance vélique le meilleur parti ». Un jumeau numérique du navire avait été préalablement réalisé afin de transmettre tous les paramètres pertinents.

Pas d'impasse sur le routing

« On ne pourra pas faire l’impasse sur le routing, reprend Jérôme Navarro. Avec la course à la voile, on a l’impression de tout savoir sur l’océanographie. Depuis 1998 et les bouées Argos, on a un peu mieux compris la courantologie mais si on a une bonne connaissance des masses d’air, elle est encore approximative pour la courantologie. Or, les phénomènes naturels devraient être de plus perturbants ».

Prestataire ou pas, à chacun de trouver sa solution. « Le routing est une affaire d’experts mais laissons aux compagnies le choix de leur politique et des initiatives qu’ils veulent laisser aux commandants et au fleet center. C'est en revanche en entretenant le dialogue entre la mer et la terre qu’on arrive à gérer parfois des situations compliquées ».

Faut-il s’attendre à ce que la conception des navires intègre systématiquement des options véliques comme les briques d’un lego, sonde Paul Tourret.  « Pas de projet nouveau sans intégrer le vélique », tranche le patron de CMN. Partant de là, « j’ai deux enjeux, valables pour toutes les technologies mais encore plus encore pour l’assistance vélique : encadrer à la fois le risque de la performance des solutions et celui pris par le chantier ».

Avant d'ouvrir un autre débat dans un faux étonnement : « demande-t-on aux transporteurs routiers d’assurer les solutions qu’ils ont choisi d’exploiter ? »

Adeline Descamps

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