Dumping social : le décret d'application promulgué

Le Pont-Aven

Passagers sur le pont exterieur du Pont-Aven de Brittany Ferries

Crédit photo ©Brittany Ferries
Le secrétaire d'État à la mer, Hervé Berville, a signé le 19 mars le décret d'application de la loi dite Le Gac de lutte contre le dumping social sur le transport de passagers en transmanche. La fin d'un long cheminement parlementaire mais qui n'a pas de sens sans prolongement en dehors des ports français.

Sur ce dossier, la filière maritime, à commencer par Armateurs de France et son fer de lance sur ce dossier Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, mais aussi les syndicats, surtout la CFE-CGC, ont salué à plusieurs reprises « l'engagement » du secrétaire d'État à la Mer et à la Biodiversité, Hervé Berville, et le travail du député Didier Le Gac ainsi que la mobilisation collective de toutes les parties prenantes concernées.

Le secrétaire d'État à la Mer a marbré le 19 mars l'application de la loi dite Le Gac de lutte contre le dumping social sur le transport de passagers en transmanche.

C’est l’aboutissement d’un long cheminement parlementaire avec des réglages à toutes les étapes du processus, notamment au nom d’une « robustesse juridique », pour que « la loi ait toutes ses chances d’être effective et ne soit pas contestable au niveau européen », faisait valoir dans un entretien au JMM Christophe Lenormand, chef du service des flottes et des marins à la DGAmpa (direction générale des Affaires maritimes).

« C'est une première partie importante d'un travail plus conséquent à mener pour la lutte contre le dumping social sur l'ensemble des façades et des secteurs d'activités du transport maritime avec des enjeux nationaux et européens », a réagi la CFE-CGC à la signature du décret, rappelant l'enjeu. « La dérégulation créée par les registres communautaires à bas coûts sociaux met à mal des secteurs stratégiques – dessertes des navires à passagers, nouvelles activités de l'éolien offshore, activités de soutage –, viviers d'emplois maritimes »,

Course au moins-disant sur le transmanche

La course au moins-disant est une réalité du transport maritime en transmanche depuis plusieurs années. La concurrence s'est toutefois durcie avec l’arrivée d’un nouvel opérateur sur le détroit (Irish Ferries) qui a conduit certaines compagnies à revoir les conditions de travail des personnels navigants pour optimiser leurs coûts et baisser les tarifs.

Le Brexit a encore accéléré le processus de dérégulation. Depuis la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le transmanche ne constitue plus une liaison intra-européenne mais est soumise aux règles internationales. Cette situation a permis à l’armateur de ferries P&O employant des marins britanniques à bord de navires battant pavillon européen de licencier sur le champ 800 marins en mars 2022 pour les remplacer par des marins étrangers soumis à un autre régime social, salaires moindres et absence de protection. Une décision qui a choqué dans l'Hexagone et au-delà.

Amorale, la pratique de dumping social reste conforme au droit international et au droit européen. La convention internationale de Montego Bay (qui délimite la liberté de navigation et la souveraineté des États côtiers en créant la Zone économique exclusive, ZEE) permet à un armateur de choisir librement le registre d’enregistrement de ses navires et ainsi d’appliquer un contrat de travail selon les règles de n’importe quel pays.

Sécuriser le dispositif

La France a réagi en légiférant, pas suffisamment selon les syndicats GCT et CFDT qui auraient aimé aller plus loin sur les prescriptions. Mais selon Christophe Lenormand, « cela nous aurait satisfait intellectuellement mais aurait mis en danger la validité de la loi. C'est la raison pour laquelle ce dispositif est ciblé et centré sur les questions de sécurité et de repos. »

L'approche, qui aurait consisté à mettre en avant le critère des conditions d’exploitation (le recours à des marins étrangers permet d’opérer à des coûts moindres de 35 % aux navires battant pavillon français selon Armateurs de France), aurait été attaquable par Bruxelles. L'État français aurait pu être accusé de fermer le marché par des biais réglementaires.

Sans cela, il y avait des embûches : le droit qui s'applique sur les navires est en principe celui de son pavillon. Mais ici, c'est l'état du port qui va imposer des obligations légales aux navires en escale.

Pas de haie parlementaire mais des arrêts institutionnels obligatoires

Le sujet a néanmoins fait consensus dans les allées parlementaires, réalisant un parcours sans haie parlementaire.

Après avoir fait le plein dans les deux assemblées dès la première lecture, la loi a été adoptée à l’unanimité le 19 juillet, en deuxième lecture (abstention faite des députés du groupe de la France Insoumise) et publiée au Journal officiel le 27 juillet 2023 (loi n°2023-659).

Le fait qu’il s’agisse d’une loi de police était un point d’attention particulier. Pour rappel, le droit européen permet aux États membres de prendre une loi de police à condition que les restrictions aux libertés économiques soient proportionnées à l’objectif poursuivi.

Le passage devant le Conseil d'État, gardien de la régularité juridique des textes, aurait pu aussi aboutir à une réécriture du texte.

In fine, Le décret entrera en vigueur en juin 2024. L’application du dispositif sera différée à douze mois pour les navires sous marché public.

Salaire minimum, durée de repos, sanctions pénales

L’enjeu de la sécurité de navigation sur les liaisons transmanche est loin d’être une vue de l’esprit. Sur ces liaisons, les navires peuvent en effet opérer des manœuvres d’accostage jusqu’à dix fois par jour, imposant parfois des journées de travail cumulant 16 heures.

À cet égard, la loi, assortie de sanctions pénales, administratives et financières. valide le fait que la durée de repos à terre soit au moins aussi longue que la durée d’embarquement, cette dernière fixée à 14 jours au maximum.

En cas de manquement, les compagnies s'exposent à des amendes pouvant aller jusqu'à 4 000 € par marin concerné, ainsi qu'à des sanctions pénales.

Un salaire minimum, identique à celui des navigants sur des ferries battant pavillon français, est aussi établi, avec là aussi des amendes dissuasives qui peuvent atteindre 15 000 € par marin concerné en cas de récidive de l’employeur.

Cette loi s'applique à tout navire à passagers qui effectue au moins 120 touchés par an dans les ports français – soit ceux qui opèrent des liaisons régulières entre la France et la Grande-Bretagne.

Enfin, le texte prévoit la double compétence des agents de contrôle de l'administration du travail et des Affaires maritimes afin de contrôler l'applicabilité du dispositif.

Irish Ferries et de P&O Ferries

Parallèlement à l’action législative, les Affaires maritimes ont rédigé et proposé aux armateurs de ferries exploitant des liaisons régulières en Manche une « charte d’engagement volontaire pour la protection des gens de mer », engageant ses signataires à des exigences en matière de rémunération, de protection sociale et de temps de repos.

Ce travail a été mené en cohérence avec les autorités maritimes britanniques « afin d’éviter des conflits d’engagement ».

Mais reposant sur le principe d’une libre adhésion des armements, seuls quatre armateurs l’ont signée, dont Brittany Ferries et DFDS, mais sans retour d'Irish Ferries et de P&O Ferries.

En revanche, de part et d’autre de la Manche, les autorités semblent alignées sur le même objectif. En témoigne la démarche similaire entreprise au Royaume-Uni avec une proposition de loi sur salaire minimal national. Un texte de loi annoncé pour l'été.

Reste à inscrire dans l'agenda européen

Les promoteurs de cette législation souhaitent maintenant porter ce combat sur la scène européenne pour harmoniser les conditions sociales des gens de mer.

Les négociations de la commission européenne Transports sur le futur paquet de sécurité maritime se sont terminées la semaine dernière. Le texte comprend à la fois des dispositions en matière de sécurité environnemental mais également un volet social.

Convaincre à quelques mois des élections de juin le Parlement européen, dont la composition risque d'être rebattue, est délicat, reconnait la députée européenne Karima Delli, présente lors de la signature du décret. Mais le véritable obstacle est d'emmener d'autres partenaires européens frileux sur ce sujet qui questionne la concurrence sauvage des pavillons moins regardants sur les critères sociaux.

En Méditerranée, où le dumping existe aussi, rappelle la CFE-CGC, notamment sur la desserte Corse-Continent avec Corsica Ferries sous le registre international Italien, le secrétaire d’Etat s’était engagé à présenter un plan d'action en « début d'année » sur les enjeux spécifiques au ferry méditerranéen.

Adeline Descamps

 

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