Louis Dreyfus Armateurs sélectionné par Airbus pour opérer une nouvelle flotte

Déjà « porte-avions » d'Airbus avec trois premiers rouliers affrétés pour le transport de sous-ensembles de plusieurs familles d'appareils  entre les différentes usines d'Airbus. Louis Dreyfus Armateurs a été retenu pour construire, acquérir et exploiter trois nouveaux navires assistés à la voile et à double motorisation (MGO/e-méthanol).

Il était de notoriété que le contrat « Airbus » de transport des sous-ensembles d'avions entre ses différents sites de production, dont Louis Dreyfus Armateurs (LDA) est titulaire depuis les années 2000 avec trois rouliers affrétés, était en cours de renouvellement.

L’on savait que les exigences en matière de décarbonation de l’avionneur européen allaient être resserrées. En attendant l’arrivée incertaine d’un avion zéro carbone fonctionnant à l’électricité ou à l’hydrogène, le constructeur aéronautique traque ses émissions industrielles de Scope 1 (directes) et 2 (indirectes), qu'il s’est engagé à réduire jusqu'à 63 % par rapport à 2015 d'ici la fin de la décennie 2030.

Or, si les versions qui sortiront des lignes d’assemblage entre 2030 et 2035 émettront 20 % de CO2 de moins que les précédentes, il reste que la production mondiale du très attendu SAF (sustainable aviation fuel),  alternative au kérosène, ne permet pas à ce stade d'envisager le grand abattage. Avec ses 250 000 t produits en 2022, il a répondu à moins de 0,1 % des 300 Mt de kérosène consommées chaque année dans le ciel et sur le tarmac.

Autant dire que les gisements d’économie en matière de gaz à effet de serre de l'un des transports les plus énergivores sont d’abord à capter dans la supply chain. LDA doit y contribuer avec ses solutions bas carbone. C'est du moins un des termes du contrat qui vient de lui être confié.


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Vue du futur roulier selon une image fournie par LDA

Quatre en short list

Face à une dizaine de soumissionnaires, dont quatre retenus en dernière sélection, l’armateur français, devenu le spécialiste des services industriels en mer ad hoc, a été retenu par Airbus pour mettre en œuvre une nouvelle flotte, dont les émissions moyennes de CO2 devront être réduites de 68 000 à 33 000 t par an d'ici 2030. Sachant qu'il s’agit de trajets transatlantiques, entre Saint-Nazaire et Mobile aux États-Unis où est implantée la ligne d'assemblage final des monocouloirs.

Pour ce faire, le groupe français va construire, acquérir (ils seront en pleine propriété de LDA) et exploiter trois nouveaux navires, qui seront armés sous pavillon français (Rif).

Consultation des chantiers en cours

Les discussions exclusives avec le chantier sont en cours et les choix finaux – constructeur et équipements –, devraient être officialisés dans les prochains jours.

Les trois précédents rouliers (154 m de long, 24 m largeur et 6,5 m tirant d’eau) construits pour le compte d’Airbus – les Ville de Bordeaux (en 2004), City of Hamburg (2008) et Ciudad de Cadiz (2009) exploités par sa filiale LD Seaplane –, avaient été confiés au chantier chinois Jinling Shipyard pour le premier et à ST Marine de Singapour pour les deux suivants. Le prix était alors estimé à 35 M$ par navire.

À ce stade, il est question d’associer six rotors Flettner – grands cylindres rotatifs qui génèrent une portance grâce au vent –, et deux moteurs bicarburant au MGO et à l'e-méthanol.

La navigation à la voile sera optimisée par le recours à un logiciel de routage qui présente « l’avantage de minimiser la traînée due à des conditions océaniques défavorables », précise LDA.

Des solutions à l'épreuve ?

Les nombreux tests effectués depuis un temps certain par l’armateur, tant dans le routage, les carburants et les technologies prennent tout leur sens à la lumière de ce contrat.

Son Ville de Bordeaux a éprouvé, pendant plus de dix-huit, mois l’aile de kite de 500 m² SeaWing de la société nantaise Airseas sur les rotations transatlantiques. Les essais sont clos mais Airseas et son actionnaire Airbus (à hauteur de 11 %) ne devraient pas aller plus loin à ce stade.

LDA va désormais mettre à l'épreuve, en conditions réelles pendant le premier semestre 2024, trois ailes rigides eSails du fabricant espagnol bound4blue, dans lequel le spécialiste des cuves de GNL GTT a récemment investi.

Son Ciudad de Cadiz carbure, par ailleurs à l’essai, au HVO issu du recyclage d’huiles végétales usagées, substituable au diesel marin (MGO), et expérimente le système de routage de la société Amphitrite.

La compagnie exerçerait-elle son droit d’inventaire en vue de construire son offre, est-on tenté de penser.

Trois navires à livrer en 2026

Les rouliers devront être livrés entre le premier et le troisième trimestre 2026. Le contrat d'affrètement est prévu sur 15 ans ferme, assorti d’une option pour cinq ans de plus. Le montant du contrat n’a pas été communiqué, le groupe ne souhaitant pas s’exprimer sur ce point « dans l’immédiat ».

Redéploiement de la flotte actuelle ?

Quant aux trois navires actuellement en service pour le compte d’Airbus, le Ville de Bordeaux restera en flotte pour l'avionneur et sera opéré sur une ligne méditerranéenne. Ce dernier n’en est pas à sa première réaffectation. Le ro-ro, avait été conçu pour le transport de pièces d’A380, dont la production a été arrêtée.

Le redéploiement des deux autres navires fait encore l’objet d’échanges avec le groupe toulousain. Le Ciudad de Cadiz et le City of Hamburg font la navette entre les différentes usines de l'avionneur européen, Hambourg, Mostyn, Saint-Nazaire (via Montoire), Cadix, Toulouse (via Pauillac), Tunis et Naples.

Montée en cadence d'Airbus

Le renouvellement de la flotte répond par ailleurs à l'ambition d'Airbus d'augmenter la cadence de production de la famille A320 à 75 appareils par mois d'ici 2026. « Les nouveaux navires auront la capacité de transporter environ soixante-dix conteneurs de 40 pieds et six sous-ensembles de monocouloirs (ailes, fuselage, mâts réacteur, empennages horizontaux et verticaux) contre trois à quatre sur les cargos actuels », précise LDA.

De façon cyclique, par à-coups, l'activité liée aux commandes des A320 et A350 a pu exiger jusqu’à l’utilisation de deux rouliers avec deux rotations par semaine entre Montoir et Hambourg.

Aussi, après avoir obtenu le transport des composants de l’A380, de l’A320 et de l’A400M, Louis Dreyfus Freight Solutions avait également été retenu en octobre 2021 pour transporter les pièces du programme de l’A220 (destinés à remplacer les monocouloirs A318 et A319), entre le site de production de Shenyang en Chine et l’usine d’assemblage à Mirabel au Canada via le canal de Panama. Pour ce contrat, la filiale spécialisée dans la commission de transport et les services de logistique maritime s’est associée à l’armateur roulier norvégien Wallenius Wilhelmsen, spécialiste de la logistique des véhicules, en vue d’offrir un combiné route-mer.

Airbus va plutôt bien ou mieux

Après des années de crise où les avions ont été cloués au sol, le marché est reparti pour le rival historique de Boeing. La commande historique de 500 exemplaires de son A320 NEO par la compagnie indienne Indigo lors du salon du Bourget en juin dernier en témoigne. Son carnet de commandes lui assure, en tout cas, plus de dix ans de production avec 8 024 commandes fermes, arrêtées fin août.

Pour LDA, la confiance qui vient de lui être renouvelée est à la fois une belle reconnaissance du service rendu mais au-delà la ratification de la stratégie bâbord tribord opérée en deux décennies, en passant du transport maritime dans son plus simple appareil avec des vraquiers, à la prestation maritime complexe avec des navires conçus pour répondre à des besoins spécifiques.

Une histoire peu banale

L’entreprise a une histoire peu commune. Acteur historique du vrac, LDA s’est d’abord « dérisquée » des capesize et du spot, marché accaparé par les puissants groupes miniers et pas « raisonnable » pour une entreprise familiale qui ne peut pas se permettre de gagner « déraisonnablement plein d’argent sur une période courte mais aussi d’en perdre énormément sur une période plus longue », ni d'être là « où les Chinois peuvent faire presqu’aussi bien mais surtout moins cher », selon les propos de Philippe Louis-Dreyfus, artisan de l'évolution de la société vers les services maritimes en mer.

Après s'être recentrée sur les handysize, qui autorisait une approche industrielle avec des contrats de long terme, la société a mis un point final à son passé dans le vrac en août 2022, prête à assumer son positionnement plus expert dans la logistique maritime et portuaire.

Autre traversée

S'y rangent les activités Airbus, mais aussi les solutions marines industrielles, telles la pose et la réparation de câbles sous-marins à fibre optique, secteur dans lequel LDA est engagé dans une co-entreprise avec Alcatel Submarine Networks/Nokia, pour opérer la plus grande flotte de câbliers au monde (12 navires). Ou encore la logistique éolienne, dont le groupe, alors sans expérience mais fort de son expertise de 40 ans dans les travaux maritimes complexes et de sa connaissance des profondeurs, a forcé la porte en répondant à un appel d’offres, qu'il emportera face à 17 compétiteurs rompus au secteur.

Le contrat a permis d’enclencher les commandes du Wind of Change puis du Wind of Hope, des navires de services SOV, affectés à la maintenance de parcs éoliens pour le compte de l’energéticien danois Orsted. LDA va de plus en plus loin dans ce domaine mais en se contentant pour l’instant des activités périphériques que sont la maintenance des pales, des turbines, le transport des techniciens...

Dire que dans les années 2000, sans même y être invité, LDA avait procédé au culot, en proposant au constructeur aéronautique européen une logistique maritime complète, spécifications du navire comprises. Sur la simple conviction que le Beluga ne suffirait pas à convoyer les éléments du fuselage du très gros-porteur à naître, l'A380. La pertinence du mode de transport a survécu à l'arrêt du programme.

En forçant la main, LDA a créé le besoin qui rencontre aujourd'hui l'impérieuse nécessité de décarboner. Un tour de force.

Adeline Descamps

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